Mais l’élément le plus alarmant de cette hécatombe sylvestre réside dans la nature même de sa cause. Pour la première fois dans les annales modernes de l’observation environnementale, ce ne sont plus les chaînes mécaniques de l’agriculture industrielle ou l’appétit insatiable pour les pâturages qui ont primé, mais le feu, élément purificateur devenu instrument de destruction.
Les incendies de 2024 ont été d’une intensité cataclysmique, balayant cinq fois plus de forêts primaires que l’année précédente et générant quelque 4,1 gigatonnes de gaz à effet de serre soit plus de quatre fois les émissions combinées du transport aérien mondial en 2023.
Ce n’est plus seulement l’arbre qui tombe, mais la forêt entière qui succombe à l’embrasement.
Une tragédie d’origine humaine sous des cieux en fureur
Si le feu, dans certains écosystèmes boréaux, peut jouer un rôle régénérateur, il est, dans les régions tropicales, une anomalie essentiellement anthropique. Trop souvent déclenché de manière délibérée pour préparer des terrains agricoles, le feu trouve désormais un allié redoutable dans le dérèglement climatique.
L’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée, marquée par une conjonction fatale entre les effets du phénomène El Niño et une sécheresse d’une ampleur apocalyptique, notamment en Amérique latine. Ces conditions extrêmes ont nourri la prolifération et la voracité des flammes, rendant toute tentative de maîtrise vouée à l’impuissance.
À cette pression climatique s’ajoutent les formes insidieuses de la délinquance environnementale : défrichements illégaux, exploitation sauvage du bois, accaparement des terres indigènes, réseaux de corruption enracinés dans certains appareils étatiques.
Les forêts, jadis inviolables, sont devenues les territoires privilégiés de prédations multiples, où l’arbre devient marchandise, le sol matière première, la biodiversité simple variable d’ajustement.
Le Brésil, cœur battant de la tragédie mondiale
C’est au Brésil, pays qui s’apprête à accueillir la prochaine conférence COP30, que la saignée forestière s’est révélée la plus dévastatrice : 42 % des pertes mondiales de forêts tropicales primaires en 2024 ont eu lieu sur son territoire. La forêt amazonienne, « poumon vert de la planète », a été le théâtre d’une double agression : les incendies y ont dévasté les deux tiers des surfaces perdues, aggravés par une sécheresse d’une sévérité historique ; les autres pertes sont liées à la culture du soja et à l’élevage, pratiques agricoles extensives qui continuent à grignoter inexorablement les marges de l’Amazonie.
Et si l’on observe une relative amélioration sous le gouvernement de Lula da Silva, les avancées restent fragiles, réversibles à tout moment, tant la pression exercée par les intérêts économiques demeure intense.
Le bassin du Congo : un second poumon en péril
La République démocratique du Congo, pourtant reléguée au second plan du débat médiatique mondial, a enregistré les pertes de forêts primaires les plus élevées de son histoire, avec une augmentation de 150 % par rapport à 2023. Les incendies, catalysés par des chaleurs inhabituelles, y ont causé 45 % des destructions. Le bassin du Congo, véritable réservoir de carbone, rempart contre l’emballement climatique, voit ainsi sa fonction de stabilisation atmosphérique gravement compromise.
Un impératif moral et planétaire
Face à ces ravages, il serait illusoire de croire que la perte des forêts ne concerne que les nations tropicales. Ce sont des régulateurs planétaires qui s’effondrent, des alliés irremplaçables dans la lutte contre le changement climatique, des réservoirs de biodiversité que l’on assassine à petit feu.
Le rôle vital des forêts dans la filtration de l’air, la régulation des régimes hydrologiques, la stabilité des sols et la protection des espèces endémiques ne peut être remplacé par aucune technologie, aucun artifice.
Nous sommes aujourd’hui placés devant un devoir de civilisation : celui de défendre les dernières forêts primaires non comme des ressources exploitables, mais comme des héritages inviolables de l’humanité. Ce devoir est global, transversal, impératif. Il engage les gouvernements à durcir les sanctions contre les crimes environnementaux, les entreprises à revoir radicalement leurs chaînes d’approvisionnement, les citoyens à interroger leurs modes de consommation.
Comme le souligne avec gravité Elizabeth Goldman, codirectrice de l’Observatoire mondial des forêts :
« Ce niveau de perte ne ressemble à rien de ce que nous avons vu en plus de vingt ans de données. Il s’agit d’une alerte rouge planétaire, d’un appel collectif à l’action. »
Puissions-nous ne pas rester sourds à cet appel. Car sans les forêts, c’est notre propre souffle que nous coupons.

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