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L’Etat français face à ses actions au Rwanda

Redigé par Tite Gatabazi
Le 28 octobre 2024 à 11:07

Le 24 octobre 2024, le tribunal administratif de Paris a tenu une audience historique pour examiner la responsabilité de l’État français dans le génocide contre les tutsi au Rwanda de 1994.

Pour la première fois, ce n’est pas la responsabilité individuelle de militaires ou de responsables politiques qui est jugée, mais bien celle de l’État français.

Deux associations et une vingtaine de rescapés accusent l’État français de « complicité » en raison de son soutien présumé au régime génocidaire à travers un accord d’assistance militaire et des défaillances dans les opérations françaises au Rwanda, notamment Amaryllis et Turquoise, marquées par des erreurs d’appréciation et, selon eux, l’abandon de civils dans des zones sensibles comme Bisesero.

Selon Philippe Raphael, juriste rédacteur de ce dossier inédit, il s’agit de faire reconnaître que ces actions constituent des fautes systémiques qui, cumulées, ont fait de l’État français un acteur indirectement complice du génocide.

Cependant, le ministère des Armées conteste la compétence du tribunal administratif en invoquant les actes de gouvernement, couverts par une immunité en vertu de la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’État (Prince Napoléon, 1875).

Ces actes, impliquant des décisions de haute politique, ne relèveraient pas du contrôle judiciaire selon la défense, une position que le rapporteur public a partagée durant l’audience. Toutefois, les plaignants estiment que certains actes sont si dérogatoires aux droits fondamentaux que le juge administratif devrait en examiner la validité, et questionnent si la complicité de génocide peut faire partie de la normalité des actes de gouvernement.

La responsabilité du commettant est un des principes centraux de cette affaire, qui impose à l’État de répondre des dommages causés par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, y compris en cas de préjudice par omission.

En l’espèce, les plaignants argumentent que les choix militaires et politiques de la France ont contribué, directement ou indirectement, au maintien au pouvoir d’un régime génocidaire, compliquant l’intervention internationale et entravant la protection des populations civiles.

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, qui engage les États à ne pas participer à des actes génocidaires, impose en effet une obligation de prévention et de non-complicité, une responsabilité qu’il est possible d’engager en cas de soutien actif ou passif à un régime perpétrant de tels actes.

D’un autre côté, certains grands juristes comme Jean Rivero et Jean Waline ont exploré la possibilité d’une responsabilité administrative même en cas de faute indirecte ou par omission, argumentant que la passivité ou le soutien indirect d’un État à des actes de génocide pourrait être qualifiée de complicité passive.

En outre, la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (CIJ) a précisé, dans l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, que des États peuvent être tenus responsables de complicité s’ils contribuent de manière significative à des actes de génocide.

Cette interprétation trouve écho dans la doctrine de Maurice Hauriou et René Chapus, qui ont discuté des limites de l’immunité pour les actes de gouvernement, en affirmant que des actes contraires aux droits fondamentaux devraient faire l’objet d’un examen juridictionnel.

Le rapport Duclert de 2021, produit par une commission d’historiens, a révélé plusieurs éléments sur les actions de la France au Rwanda et fourni des indices de son soutien à un régime génocidaire. Ce soutien, bien qu’officiellement limité à des actions humanitaires, aurait pu faciliter indirectement les massacres en renforçant militairement ce régime.

A cette époque, le président François Mitterrand prônait une intervention militaro-humanitaire pour freiner l’avancée du Front patriotique rwandais (FPR) et imposer un partage de pouvoir selon les accords d’Arusha.

Le Premier ministre Édouard Balladur, quant à lui, soutenait une intervention purement humanitaire, refusant toute forme d’ingérence militaire qui risquerait de donner l’apparence d’une expédition néocoloniale.

Les plaignants demandent au tribunal de condamner l’État français à verser 500 millions d’euros de réparations, invoquant une responsabilité sans faute pour le préjudice exceptionnel causé par ses actions, une approche parfois retenue pour des circonstances extrêmes (Conseil d’État, arrêt Couitéas, 1923).

Cette doctrine permettrait de considérer que l’inaction de la France dans la protection des civils rwandais engage sa responsabilité, même sans acte fautif direct, au regard des conséquences graves qui ont suivi.

Ainsi, cette affaire interroge sur la possibilité d’engager la responsabilité de l’État français pour des actions jugées complices de crimes graves.

Si le tribunal administratif reconnaît la gravité des faits, cela pourrait ouvrir un précédent, redéfinissant les limites de l’immunité des actes de gouvernement, et soulignant l’obligation des États de ne pas contribuer, même indirectement, à des violations massives des droits de l’homme.

La décision du tribunal, attendue le 14 novembre 2024, pourrait donc non seulement influer sur le droit administratif, mais aussi poser des principes juridiques nouveaux pour les actions internationales des États.

Un militaire français regarde passer une troupe de miliciens interahamwe en 1994.

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