La RDC face au miroir de sa propre indigence

Redigé par Tite Gatabazi
Le 22 juin 2025 à 03:23

Dans la jungle institutionnelle congolaise, la kleptocratie s’érige en liturgie et le vacarme politicien en incantation hypnotique : tandis que les laudateurs officiels font résonner tambours et vuvuzelas pour magnifier d’illusoires progrès, les meutes gouvernementales, rassasiées d’allocations occultes, font glisser l’opulence de leurs coffres jusqu’au caniveau moral où croupissent les laissés-pour-compte.

Sous les lambris d’un pouvoir cannibale, la rhétorique patriotarde, saturée d’oxymores flamboyants, masque un échange aussi sordide que mécanique : on troque la souveraineté populaire contre l’ivresse éphémère de slogans martiaux, et l’on cadenasse la misère dans le silence des ventres affamés.

Ainsi la nation, sidérée par le tintamarre, applaudit sa propre indignité ; elle célèbre, dans une ovation crépusculaire, des élites obèses qui dévastent le bien commun avec la voracité d’une sauterelle biblique. Or, de ce festin déshonorant ne surgira jamais qu’un désert social : la bedaine ministérielle enfle au rythme même où l’échine populaire se courbe, confirmant l’antique présage de la servitude volontaire, car nul tyran, si difforme fût-il, ne prospère sans le consentement d’un public qu’il abreuve de vacarmes pour mieux l’égorger de famine.

Il est des nations qui, à force d’applaudir l’inadmissible, finissent par bénir le fossoyeur de leur propre destinée. Dans la République démocratique du Congo, le spectacle est désormais bien rodé : d’un État de siège vidé de toute substance à une diplomatie de coulisses qui sacrifie le territoire aux marchands d’influence, l’histoire récente s’écrit non plus dans l’indignation, mais dans l’enthousiasme hébété d’un peuple que l’on prive de pain en lui offrant du bruit.

À chaque volte-face, à chaque promesse délayée, une clameur monte : non pas le cri lucide d’une nation en révolte, mais le soupir exténué d’un public résigné, presque sacrificiel. S’impose alors une question, austère et salutaire : méritons-nous vraiment la caste obèse qui nous gouverne ?
L’éloge de la servitude, version kinoise.

Étienne de La Boétie, disséquant la servitude volontaire, s’étonnait déjà qu’un seul tyran pût ployer des millions, sinon avec leur propre acquiescement. Transposée aux rives du fleuve Congo, l’énigme devient vertigineuse. Car qui donc a applaudi lorsque l’on décréta l’État de siège, comme si l’on signait l’acte d’un salut, alors qu’il ne fut qu’un écran de fumée couvrant la prolifération de rackets militaires ?

Qui s’est extasié devant l’intégration précipitée des wazalendo aux FARDC, sans voir qu’elle ouvrait un boulevard aux vols, viols, pillages, massacres et destructions. Qui s’est indigné de l’alliance avec les FDLR et la sous-traitance sécuritaire ? Qui, enfin, s’est réjoui de l’arrivée de contingents régionaux et mercenaires applaudissant comme si l’on pouvait déléguer la défense d’un sol martyrisé à des casques bariolés de promesses ?

Chaque serment d’intransigeance s’est dissous dans un marchandage discret, chaque rodomontade militaire s’est diluée dans un silence embarrassé, chaque prophétie de victoire s’est muée en communiqués. Et pourtant la clameur populaire, fatiguée mais tenace, redouble de vivats, comme si l’on conjurait la faim en ovationnant le banquet du voisin.

La politique-spectacle, ou l’art d’engraisser les apparatchiks

Les gouvernants congolais, rompus à la dramaturgie, ont compris que l’on peut affamer un peuple à condition de nourrir son imaginaire : il suffit d’agiter les oripeaux du patriotisme, de brandir l’épouvantail de l’agression étrangère ou le mirage d’une « riposte vigoureuse » pour maintenir la foule en liesse.

Pendant ce temps, la classe politique, hypertrophiée et gloutonne, multiplie les ministères, les conseillers, les commissions, les perdiems ; ses SUV climatisés dévorent des avenues jonchées d’enfants déscolarisés. La République, exsangue, consacre plus aux émoluments des élus qu’à la paie des soignants ; elle bâtit des palais administratifs plus vite qu’elle ne rebâtit les écoles et les hopitaux.

Ainsi la parole publique, délestée de son crédit, n’indigne plus : elle amuse, elle occupe l’espace, elle anesthésie. Les bilans budgétaires demeurent opaques, les contrats miniers scellés dans la pénombre, mais qu’importe : un tweet martial, une harangue sur la place des Évolués, et la distraction fait office de gouvernement.

Peuple famélique, élite obese : l’abyme du consentement

La misère a ceci de tragique qu’elle consume l’énergie civique : l’estomac creux applaudit parfois pour oublier le ventre vide. Mais lorsque l’ovation ne jaillit plus malgré, mais à cause des renoncements, l’assentiment devient abdication, et l’abdication complicité.

Les gouvernants ne tombent pas du ciel ; ils prospèrent sur un terreau de fatalisme si dense qu’il finit par naturaliser l’abus. Un peuple qui exige compte, un peuple qui cède abdique ; or, voilà qu’au Congo l’on acclame les budgets obèses et que l’on acclimate la paupérisation comme un climat.

L’heure du refus ou l’heure du naufrage

Il ne s’agit ni de mépriser ni de moraliser, mais d’alerter. La dignité nationale commence par le refus du simulacre : cesser d’applaudir ce qui dévore, d’ovationner ce qui trahit, de glorifier ce qui dépouille. Tant que la bulle de privilèges, nourrie par les royalties des mines et le népotisme des ententes, ne rencontre pas le mur d’une exigence civique, la RDC demeurera l’allégorie d’une obésité politique trônant sur une multitude famélique.

Chaque peuple finit, dit-on, par ressembler à ses dirigeants ; mais nul décret n’oblige à cette mimétique mortifère. L’urgence est à la lucidité : rouvrir les livres de comptes, exiger des audits, bannir la majesté creuse des promesses, préférer l’éthique des actes à la rhétorique des shows.

Faute de quoi, nous n’hériterons pas seulement des dirigeants que nous méritons : nous hériterons de l’abîme qu’ils creusent sous nos pas, et il engloutira jusqu’à nos applaudissements.

La kleptocratie congolaise a transformé le pillage en rituel, tandis que le peuple sombre dans l’oubli

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