A force de psalmodier l’anathème contre l’« entité sioniste », les tribunes cléricales de Qom avaient transformé la ferveur religieuse en épopée belliqueuse : l’eschatologie chiite se façonnait une dramaturgie de la revanche, maquettant ses missiles comme autant d’arguments théologiques. Fordo, enfoui sous la roche comme un tabernacle nucléaire, devenait le sanctuaire d’une nation qui voulait sanctuariser sa souveraineté.
Mais le verbe, lorsqu’il s’érige en glaive, finit toujours par convoquer la contre-parole de l’acier. À la dixième aurore d’une guerre ouverte avec Israël, la Maison-Blanche de Donald Trump, fidèle à son goût pour le spectaculaire et la doctrine du « feu et fureur », a libéré l’orage.
Trois essaims de B-2 Spirit ont traversé l’Atlantique, sobres silhouettes de carbone portant, dans leurs soutes, les immenses GBU-57 qui fracturent les montagnes. Fordo, Natanz, Ispahan : autant de syllabes désormais creuses, vidées de leur uranium comme d’un sens soudain désamorcé.
Le boomerang d’une rhétorique apocalyptique
Téhéran accuse désormais Washington de « comportement anarchique et criminel ». L’adjectif, pourtant, décrit mieux la propre stratégie iranienne : confondre le verbe prophétique avec la géopolitique moderne, croire qu’un sermon peut abolir le principe de dissuasion.
Pendant des années, la République islamique a joué du registre méta-historique : Israël devait être « rayé de la carte », l’Amérique chassée du Golfe, la mer Rouge refermée sur ses flottes comme une seconde mer des Roseaux. Or voici que la dialectique du martyr rencontre la mathématique des bombes pénétrantes, et qu’à la poésie des minarets répond le grondement d’une enclave creusée à trente mètres sous le sol.
Cette frappe, cependant, n’est pas qu’un carnage d’acier. Elle marque la mise en abyme d’un axiome : dans la géopolitique du XXIᵉ siècle, la rhétorique sacrificielle est soluble dans le bombardier furtif. Plus l’Iran investissait le narratif de l’inéluctable confrontation, plus il creusait la pente d’une riposte écrite depuis longtemps dans les manuels stratégiques du Pentagone.
A force de jurer qu’elle embrasera la région, la théocratie chiite a fini par valider, aux yeux des faucons de Washington, l’opération préemptive comme un mal inévitable.
Les répliques d’un tremblement stratégique
Les GBU ont fait voler en éclats des centrifugeuses ; elles n’ont pas dispersé la poussière radioactive du ressentiment. Déjà, sur la place Imam-Khomeini, les foules scandent la fidélité au « droit imprescriptible » à l’enrichissement. Les Pasdarans, humiliés, promettent le feu sur les bases US d’Al-Udeid et d’Al-Dhafra.
Israël renforce son Dôme de Fer et rappelle ses réservistes. Dans le Bosphore, les tankers attendent, craignant la fermeture du détroit d’Ormuz qui ferait flamber le Brent à des altitudes himalayennes.
Plus sourde encore est l’onde de choc normative : l’ordre nucléaire international, déjà fragilisé par la mise à mort du JCPOA, vacille. Moscou feint l’indignation pour masquer son intérêt : un baril à 150 dollars gonflerait son trésor de guerre. Pékin sermonne Washington mais engrange, en coulisses, les contrats de reconstruction d’infrastructures iraniennes.
L’Europe, quant à elle, redécouvre qu’elle n’a plus d’autonomie stratégique ; elle rédige de longues notes diplomatiques pendant que s’élève, sur la ligne bleue du Levant, la fumée des bunkers éventrés.
Vers quel crépuscule
L’Histoire a parfois la cruauté des cercles parfaits : trente-cinq ans après l’opération Desert Storm, l’Amérique frappe à nouveau un régime qui croyait pouvoir se cuirasser sous son propre mythe. L’Iran, « caïd du Moyen-Orient » dans la bouche flamboyante de Trump, se trouve sommé de choisir : capituler ou promettre l’apocalypse, faisant ainsi advenir la prophétie qu’il brandissait. On songe à Nietzsche : « Qui lutte contre des monstres doit prendre garde de ne pas devenir monstre lui-même. » Qu’adviendra-t-il, quand l’Amérique regardera son reflet dans la vitre opaque d’un Fordo en ruines ?
Le souffle qui a pulvérisé Natanz est un vent d’incertitude : il peut, s’il se heurte à la raison, désamorcer la spirale. Mais si l’orgueil perse répond au narcissisme des tweets présidentiels, alors la guerre de demain s’écrira peut-être en lettres de cobalt. Car la rhétorique, une fois habillée de missiles et de mythes, n’a plus le loisir de revenir à la table des négociateurs ; elle marche d’un pas raide vers l’issue la plus tragique qu’elle a elle-même répétée.

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