Les événements s’y succèdent, sans pourtant jamais vraiment se ressembler, tant la dynamique de la violence y épouse des formes multiples et retorses. Aux convulsions initiales de la guerre se sont greffés les intérêts voraces d’une multitude de groupes armés, souvent inféodés à des élites locales – députés, ministres, généraux – pour qui l’instrumentalisation de la souffrance populaire constitue une stratégie de domination, un levier cynique de pouvoir. Cette prolifération de milices, véritable archipel de violences sous-traitées, ne prospère que sur la désagrégation des liens sociaux, la paupérisation chronique des masses et la falsification éhontée de l’histoire.
Car l’un des drames les plus insidieux de cette crise prolongée est la reconfiguration mensongère des récits collectifs. L’histoire du Kivu, au lieu d’être assumée dans sa pluralité, est continuellement tordue, tronquée, instrumentalisée pour dresser les communautés les unes contre les autres. Les antagonismes sont fabriqués, exacerbés, nourris par des amalgames pernicieux, des raccourcis grossiers, et des logiques d’exclusion soigneusement orchestrées. Ce brouillard idéologique empêche l’émergence d’une conscience commune, d’une mémoire partagée, sans laquelle aucune réconciliation véritable ne saurait advenir.
Pourtant, un frémissement nouveau semble poindre à l’horizon. Depuis que les forces dites révolutionnaires ont pris le contrôle de plusieurs grandes villes du Kivu, un voile se déchire, révélant à une partie croissante de la population les mécanismes profonds de la manipulation politique et de la violence planifiée. Ce regain de lucidité, aussi fragile soit-il, pourrait bien ouvrir un interstice propice à la renaissance d’un esprit de dialogue.
Il est dès lors impérieux, et peut-être même salvateur, que les fils et filles du Kivu – toutes communautés confondues – s’engagent dans une démarche sincère de concertation. Il faut, à l’instar des antiques baraza, ces conseils traditionnels où l’on réglait les différends dans la parole libre et respectueuse, créer un espace d’écoute et de vérité. Non pas un simulacre de dialogue dicté par les agendas extérieurs ou les calculs politiciens, mais un véritable moment d’introspection collective, un temps fort de parole désenclavée.
Ce dialogue, s’il veut être fécond, doit crever l’abcès de décennies de rancunes, d’humiliations, de frustrations accumulées. Il ne saurait éluder les responsabilités ni flatter les susceptibilités. Mais il doit aussi être animé par la volonté de soigner ensemble les plaies béantes, de retisser les fils disjoints d’un tissu social autrefois harmonieux. Car les peuples du Kivu ne sont pas naturellement ennemis. Ils ont cohabité, échangé, célébré ensemble depuis la nuit des temps. Leurs langues, leurs coutumes, leurs alliances matrimoniales sont les traces vivantes d’une interaction millénaire qu’aucune conjoncture de violence ne saurait effacer définitivement.
L’heure n’est plus aux invectives ni aux replis identitaires. Elle est à la responsabilité historique. L’heure est venue pour les Kivutiens de réapprendre à se parler, à se regarder sans peur, à se reconnaître dans l’altérité. De ce dialogue émergera, peut-être, une nouvelle grammaire de la paix, fondée non sur le silence imposé par les armes, mais sur la parole restaurée, affranchie, réparatrice.
Ainsi se construira, lentement mais sûrement, une société où l’on n’aura plus besoin de leaders armés pour exister, mais où les véritables leaders seront ceux qui auront osé, les premiers, dire la vérité en regardant leurs frères dans les yeux. C’est à ce prix que le Kivu renaîtra. Non pas d’un mythe ou d’un décret venu d’en haut, mais de la force humble et tenace d’un peuple qui, au terme de ses nuits les plus noires, aura choisi la lumière du dialogue.

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