La cérémonie devrait faire la une des médias, susciter un optimisme diplomatique et produire le discours habituel sur « une nouvelle ère pour la région ». Pourtant, aucun de ces effets d’ambiance ne change la réalité fondamentale : la durabilité de cet accord dépendra presque entièrement de la volonté politique du gouvernement congolais.
Ce n’est pas une formule rhétorique. C’est une observation empirique fondée sur des décennies de conflits dans l’est de la RDC. Les conditions structurelles qui alimentent l’instabilité récurrente, exclusion citoyenne, narratifs politiques haineux, fragilité institutionnelle, présence de groupes armés génocidaires et défaillances de gouvernance enracinées, sont largement internes à la RDC. Aucun médiateur externe, aussi influent soit-il, ne peut les corriger sans que la direction congolaise n’adopte des réformes difficiles.
Il existe une crise de leadership caractérisée par le problème des promesses sans politique concrète.
Le président Félix Tshisekedi arrive à Washington avec un long bilan d’engagements non tenus en matière de sécurité intérieure et régionale. Son administration a à plusieurs reprises signé des accords qu’elle n’avait ni la capacité ni la volonté de mettre en œuvre. Qu’il s’agisse des initiatives de Nairobi en 2019, de la Feuille de route de Luanda ou des engagements liés aux cadres de démobilisation et de désarmement, le schéma a été le même : enthousiasme rhétorique, suivi superficiel et retournement éventuel.
Cette incohérence n’est pas accidentelle ; elle reflète un défi plus profond au sein de la culture politique congolaise, où les gestes symboliques remplacent la réforme structurelle. Il est révélateur que, avant de partir pour Washington, Tshisekedi ait sollicité les conseils des grands guérisseurs traditionnels de Kinshasa : un épisode qui, bien qu’anecdotique, illustre un leadership davantage préoccupé par l’optique politique et la « protection » métaphysique que par les responsabilités de gouvernance qui génèrent la stabilité. Pour la paix régionale, le risque est évident : un dirigeant incapable de tenir ses promesses intérieures aura peu de chances de respecter ses engagements internationaux.
Pour qu’un accord de paix perdure, il doit s’attaquer aux causes historiques des conflits, dont la plus centrale est la discrimination persistante, la délégitimation et les violences meurtrières périodiques contre les communautés kinyarwandaophones de la RDC, en particulier les Tutsi congolais.
Ce problème précède Tshisekedi, mais son administration l’a exacerbé à travers une rhétorique politique incendiaire, un silence permissif face aux discours de haine et le recours à des acteurs politiques qui font de ces communautés des boucs émissaires commodes pour expliquer les échecs de gouvernance. Le résultat a été une exclusion institutionnalisée et un environnement social dans lequel certains citoyens congolais sont continuellement présentés comme des étrangers, indépendamment des garanties constitutionnelles.
Un accord de paix ne peut ignorer cette réalité. Ni le Rwanda ni les médiateurs externes ne peuvent légiférer sur la citoyenneté des Tutsi congolais. Seule Kinshasa en a le pouvoir. Sans un cadre garantissant l’égalité des droits, démantelant les récits discriminatoires et protégeant les minorités contre les manipulations politiques, tout accord signé à Washington ne sera au mieux qu’un cessez-le-feu, et fragile en plus.
Il existe un problème lié aux FDLR et aux contradictions de l’État congolais en matière de sécurité. La présence continue des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) reste le paradoxe sécuritaire le plus déstabilisant dans l’est du Congo. Alors qu’elles sont officiellement désignées comme une menace existentielle pour le Rwanda et la région, les FDLR ont été à plusieurs reprises tolérées, intégrées ou instrumentalisées politiquement par des factions au sein de l’appareil sécuritaire congolais. Cette dualité, dénonciation publique associée à une accommodation pratique, mine toute tentative de réforme crédible.
À moins que Kinshasa n’adopte une politique claire, cohérente et contraignante à l’égard des FDLR, visant à démanteler leurs structures et à mettre fin à leur influence, aucun accord de paix avec le Rwanda ne pourra être opérationnel. Les témoins externes ne peuvent pas résoudre un problème que l’État congolais lui-même traite de manière ambiguë.
Personne ne peut ignorer les déficits de gouvernance en RDC, qui restent l’obstacle silencieux à la mise en œuvre de tout accord de paix.
Au-delà des politiques identitaires et des groupes armés soutenus par le gouvernement, il existe un déficit de gouvernance plus large : corruption, institutions faibles, réseaux locaux prédateurs et chaîne de commandement militaire souvent indisciplinée. Ce ne sont pas des problèmes périphériques : ce sont des obstacles centraux à la construction de la paix. Les accords échouent non pas parce que les signataires changent d’avis, mais parce que les structures de l’État sont trop faibles pour remplir leurs obligations.
C’est pourquoi l’accord du 4 décembre risque de devenir un document symbolique de plus : excellent sur le papier, compromis dans la pratique. Washington peut fournir de l’élan ; Kigali peut apporter de la clarté ; les témoins régionaux peuvent assurer un suivi. Mais seul Kinshasa peut assurer la mise en œuvre.
Pour que l’accord de Washington ait une durée de vie supérieure à celle de sa cérémonie de signature, plusieurs impératifs politiques sont incontournables :
L’affirmation et l’application des droits de citoyenneté égaux pour tous les Congolais, y compris les communautés kinyarwandophones, avec protection contre la discrimination et la violence à motivation politique.
Une stratégie globale et limitée dans le temps pour démanteler les FDLR et les structures affiliées, soutenue par une coopération régionale et assortie de mécanismes clairs de reddition de comptes.
Troisièmement, un cadre national pour poursuivre le discours de haine et l’incitation ethnique à la haine, y compris les responsables publics qui entretiennent des récits dangereux.
Quatrièmement, le renforcement des capacités institutionnelles dans les structures de commandement militaire, le contrôle des frontières, le système judiciaire et la gouvernance provinciale. Enfin :
Mettre fin à l’incitation politique à externaliser les échecs de gouvernance internes, en remplaçant le bouc émissaire populiste par des réformes politiques crédibles.
Si ces mesures ne sont pas mises en œuvre, l’accord de Washington deviendra une nouvelle entrée dans le long catalogue d’accords régionaux bien intentionnés mais éphémères.
Conclusion : cet accord de paix nécessite plus que des signatures : il exige la responsabilité de l’État congolais.
La cérémonie de signature du 4 décembre générera de l’optimisme diplomatique, mais l’optimisme ne peut se substituer à la volonté politique. La RDC détient la clé de la paix, car les causes profondes du conflit résident dans ses propres défis de gouvernance, sa politique identitaire et ses contradictions en matière de sécurité. Le Rwanda ne peut pas les résoudre à sa place, pas plus que les médiateurs internationaux.
La question n’est donc pas de savoir si Washington peut produire un accord. Cela peut se faire. La véritable question est de savoir si Kinshasa pourra le soutenir. Sans réformes internes profondes, protection des droits, reddition de comptes, renforcement institutionnel et rupture décisive avec la politique d’exclusion, l’accord sera célébré à midi et compromis au coucher du soleil.
Pour une paix durable dans les Grands Lacs, les signatures importent bien moins que l’État qui doit les honorer.














AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!