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Occident et Afrique : Deux types de solidarité, Deux formes de démocratie (2ème Partie)

Redigé par André Twahirwa
Le 4 décembre 2016 à 05:08

Démocratie représentative et Démocratie participative, laquelle choisir ?
Démocratie représentative Dans une société à solidarité verticale, l’individualisme est au cœur de la vie privée, de la vie professionnelle et sociale mais aussi de la vie publique. Le « départage » est la règle d’or : dans le « struggle for life », il faut un vainqueur et un vaincu même si l’on doit « tuer » l’autre en l’humiliant même par des « coups au-dessous de la ceinture ».
Dans le domaine politique, c’est le triomphe de la (...)


Démocratie représentative et Démocratie participative, laquelle choisir ?

Démocratie représentative
Dans une société à solidarité verticale, l’individualisme est au cœur de la vie privée, de la vie professionnelle et sociale mais aussi de la vie publique. Le « départage » est la règle d’or : dans le « struggle for life », il faut un vainqueur et un vaincu même si l’on doit « tuer » l’autre en l’humiliant même par des « coups au-dessous de la ceinture ».

Dans le domaine politique, c’est le triomphe de la démocratie à (dominante) représentative, une démocratie faite d’opposition frontale et d’affrontement radical, un affrontement souvent violent et érigé en norme. Les campagnes électorales sont des moments d’exacerbation d’une confrontation idéologique autour des valeurs (liberté, égalité, fraternité) entre « la gauche » et la « droite », entre les progressistes et les conservateurs. Après les élections, la constitution d’un gouvernement d’union nationale est une gageure.

Un plan à (très) long terme est difficile voire impossible à mettre en place : à peine élu, le parti majoritaire pense aux élections suivantes ; obnubilés par l’alternance, les vaincus s’opposent systématiquement quitte à saper l’action de la majorité et vont même jusqu’à promettre de défaire ce qui est en train d’être mis en place. Une fois les élections passées, les citoyens se mettent à compter les points à travers de trop fréquents sondages en attendant la fin du mandat en cours et les élections suivantes.

Pour très forte majorité d’entre eux en tous cas.

Il va de soi que, dans ce type de configuration politique, le multipartisme d’opposition ainsi que les contre-pouvoirs sont nécessaires voire indispensables au fonctionnement démocratique du pays : sans eux, il serait inévitablement livré à l’arbitraire de ses dirigeants. Mais le multipartisme s’organise toujours dans un esprit de compétition et non de dialogue dans la recherche du consensus ; d’où l’émiettement du paysage politique avec quelque 408 formations politiques officiellement déclarées en 2013 (une année après les Présidentielles de 2012) et une dizaine de partis qui occupent la scène médiatique et remportant des succès aux élections nationales(Le Monde.fr du 15 janvier 2015).

Et toujours dans un antagonisme exacerbé entre les deux « partis de gouvernement »(Le Parti socialiste et les Républicains, avec autour de 150 000 adhérents chacun, selon Le Monde.fr du 22 septembre 2015), qui ne parviennent guère à se mettre d’accord, même sur l’essentiel.

Et il en est de même dans la vie syndicale avec un syndicalisme dispersé (cinq confédérations pour les 7% à 8% des salariés français syndiqués) et fait de revendication, rarement de proposition. Le paysage médiatique est, lui aussi, très émietté et de plus en plus animé par la loi libérale du marché (la loi l’offre et de la demande de l’information, devenue spectacle dans beaucoup de médias) ; d’où la course à l’information et au scoop ; d’où aussi la polémique souvent virulente destinée à pimenter les débats, à faire monter les enchères.

Cet affrontement est d’autant plus radical que le PAF (le paysage médiatique) n’échappe pas à la division bipolaire « gauche vs droite » ; en effet, en dehors des journaux et magazines spécialisés, la presse est politique et partisane : il y a une « presse de gauche » et une « presse de droite ».

Dans une démocratie représentative, l’alternance et (donc) l’élection sont au cœur de la vie de la cité, le vaincu d’hier ne rêvant que d’une chose : prendre sa revanche. La participation réel du peuple dans le jeu démocratique (du pouvoir PAR le peuple) est très limitée et se réduit donc presque au droit de vote : « le simple citoyen, qui est un vrai démocrate, se fait, en silence, un jugement sur le gouvernement de son pays et, lorsqu’il est consulté, à dates régulières, pour l’élection d’un député par exemple, exprime son accord ou son désaccord.

Après quoi, comme il est normal et sain, il retourne à ses préoccupations personnelles qui ont leur grandeur, ne serait-ce que par ce qu’elles ont de nécessaire, non seulement pour chaque individu, mais pour la société. »(Ces princes qui nous gouvernent : lettre aux dirigeants de la nation, 1957). L’auteur de ces propos, Michel Debré, a été premier Premier Ministre de Charles de Gaule, de 1959 à 1962, et est considéré comme « le père de la Constitution » française actuelle.

Le pays risque donc de verser dans l’assistanat et dans la professionnalisation en politique : une classe de politiciens de métier risquent d’accaparer le pouvoir et d’en verrouiller l’accès : « Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques... » écrivait J. J. Rousseau (Du Contrat Social, III, 4).

Les mass media, les syndicats étant eux-mêmes politiques et en tous cas partisans, l’exercice de la démocratie risque de se réduire à l’organisation du suffrage universel. Avec, comme corollaire, le sentiment d’exclusion de la majorité dite « silencieuse » et l’abstentionnisme, un abstentionnisme qui peut friser ou dépasser les 40% (39 % aux dernière Municipales ; 41,59 % aux dernières Régionales ; 44,59% aux dernières Législatives, au second tour) ou même les 60% voire les 70% (dernières Européennes, 56.5 % ; 69,8% au référendum de 2000 sur le passage du septennat au quinquennat).

Autre risque : du fait que l’élection est au centre du système, le clientélisme et les surenchères électorales avec des promesses « qui n’engagent que ceux qui les écoutent ». Seule l’élection présidentielle échappe à la règle : depuis 1962, elle se fait au suffrage universel direct et elle constitue le plus fort moment de la vie démocratique du pays. Mais cette présidentialisation ne fait qu’accentuer le caractère pyramidal du pouvoir à telle enseigne que l’on en est venu à parler de « monarque républicain » pour désigner l’hôte de l’Élysée.

Démocratie participative
Dans une société à solidarité horizontale, la vie sociale est centrée sur le groupe, la communauté. Le « partage » est la règle d’or. Dans le domaine politique, la démocratie à (dominante) participative est celle qui correspond le mieux au bon fonctionnement de ce type de sociétés : une série de dispositifs sont mis en place pour permettre aux citoyens _ TOUS et TOUTES_ de participer aux décisions engageant la vie de la cité et d’être des acteurs à part entière et à plein temps de leur destin.

Au Rwanda, dans le domaine de la justice, on connaît les juridictions populaires dites Gacaca(prononcer Gatchatcha) : plus de 12 000 tribunaux communautaires ont effectué plus de 1,2 millions de jugements de présumés génocidaires à travers le pays en quelque 8 ans entre 2005 et 2012, année de leur fermeture officielle. Depuis 2004, grâce au dispositif « Abunzi » (« réconciliateurs »), des médiateurs sont appelés à résoudre rapidement les petits litiges fonciers et familiaux qui naissent au sein des communautés locales, ce qui permet un désengorgement des tribunaux et une réduction de frais de justice.

L’armée elle-même est une armée citoyenne, qui participe à la construction des infrastructures et autres projets visant à réduire la pauvreté en (re)construisant par exemple des maisons pour des familles pauvres sinistrées ou en participant au dispositif « Girinka » (une vache par famille pauvre) ou encore en aidant les familles précaires à payer la mutuelle de santé, obligatoire, comme le font les autres citoyens dans le cadre du « village »(entité administrative de base). Aujourd’hui, on décompte dix dispositifs « localement conçus » mis en place et la liste est ouverte.

Loin de tout positionnement idéologique de type « gauche vs droite », le partage et la recherche du consensus dans le dialogue sont des principes fondamentaux. Au Rwanda, l’État « s’engage à se conformer aux principes fondamentaux suivants et à les faire respecter : […] partage équitable du pouvoir ; […] recherche constante de solutions par la voie du dialogue et du consensus ». (Article 10 de la Constitution de 2003 révisée en 2015).

Et au sein des instances représentatives ou exécutives, des dispositifs constitutionnels ou législatifs sont mis en place pour permettre la participation du plus grand nombre et particulièrement des catégories habituellement défavorisées : les femmes mais aussi des handicapés ou d’autres minorités sociales ou politiques. Le multipartisme, lui-même, s’organise "naturellement" dans un cadre de partage, dans le cadre d’un front républicain destiné à mobiliser toutes les énergies, toutes les composantes de la nation pour le bien commun (la res publica).

Dès lors, non seulement un gouvernement d’union nationale est possible, mais les « Forces vives de la nation » (armée, ONG religieuses ou laïques, syndicats, coopératives, secteur privé…) se doivent d’être associées aux divers projets qui concourent à la réalisation de programmes à long terme (« Vision 2020 » et « Vision 2050 »), lesquels sont favorisés par le partage du pouvoir.

Les libertés individuelles ne sont pas brimées : elles sont simplement inséparables des libertés collectives. En effet, la liberté de chacun n’a de sens que si elle est mise au service de l’autre, le bonheur individuel étant à ce prix : « être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres. » (Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté).

La liberté de la presse n’échappe pas à la règle.

Une charte de déontologie définit les droits et les devoirs du journaliste. Et dans les limites fixées par la loi, le journaliste est libre de s’exprimer. Sauf que la polémique virulente et surtout les noms d’oiseaux ne font pas partie de la norme. Oui aux critiques et confrontations mais dans le respect (ton et teneur des propos) de l’autre, qu’il ne faut jamais chercher à humilier. Il en est ainsi des débats en général à commencer par les débats au Parlement.

Les risques majeurs dans ce type de démocratie ? L’on pourrait craindre que l’urbanisation galopante ne vienne saper la solidarité « traditionnelle » dans ses fondements. Mais « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme » : le partage est bien inscrit dans l’ADN national. Tellement bien ancré dans l’âme du peuple qu’il a résisté à un siècle de colonisation et au génocide, qui aurait pu sonner le glas de la nation rwandaise. Le principe de la démocratie participative est sans doute la vertu des citoyens, la vertu de tous les citoyens_ et non seulement la vertu de ceux qui gouvernent ou qui sont appelés à gouverner _ appelés à contribuer ensemble et « de pair à pair » à la res publica, au service du bien commun.

La bonne gouvernance _ c’est-à-dire l’efficacité des politiques publiques POUR le peuple_ est donc au cœur de la vie de la cité. Dès lors, le risque majeur serait une mauvaise gestion des outils de la bonne gouvernance et garde-fous institutionnalisés : l’Ombudesman, dont le rôle est de combattre la corruption par l’éducation, la prévention et l’application de la loi, et surtout le Rwanda Governance Board (RGB), un organisme autonome qui joue le rôle de réflexion, d’évaluation et de contrôle de la qualité réellement démocratique des politiques publiques.

Il faut donc consolider le modèle endogène et le faire évoluer de peur que le pays ne cède de nouveau aux attraits du modèle aujourd’hui mondialement dominant de la démocratie représentative, qui n’est pas adaptée à l’ADN culturel rwandais : les deux premières républiques l’avaient adoptée sans l’adapter avec les résultats et les conséquences que l’on sait.

LE MEILLEUR DES DEUX SYSTEMES ?
C’est évidemment à la démocratie libérale que pense Winston Churchill quand il déclare : « La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous » ou « le pire des régimes, à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé ».

Il s’agit du modèle « occidental », qui se présente aujourd’hui comme LA démocratie, la seule et unique forme de démocratie : l’Occident a la mission de démocratiser le reste du monde.

Pierre Mendès-France, un des grands hommes politiques français contemporains, rappelle et précise en quoi ce système peut être mauvais : « La démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une urne, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus puis à se désintéresser, s’abstenir, se taire pendant cinq ans. Elle est action continuelle du citoyen non seulement sur les affaires de l’Etat, mais sur celles de la région, de la commune, de la coopérative, de l’association, de la profession. […] La démocratie n’est efficace que si elle existe partout et en tout temps. »(La République moderne, 1962r)

Tout en soulignant les défaillances du modèle libéral, le grand homme politique français, semble faire, a contrario et en filigrane, l’éloge du modèle participatif propre aux sociétés du partage. En effet, en dehors du modèle grec de la « démocratie directe », difficile à appliquer voire inapplicable et pas seulement à l’échelle des grandes nations, le modèle participatif est celui qui permet au peuple, le plus large possible, d’exercer le plus possible les pouvoirs de gouvernement les plus étendus : c’est le « PAR le peuple », qui différencie les différentes formes de démocratie.
Mais, si supériorité il peut y avoir, c’est seulement dans l’absolu et sur le papier.

« Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie », c’est-à-dire celui qui traite l’autre d’inférieur et de sauvage à civiliser, écrivait en 1961 le grand Lévi-Strauss (Race et Histoire) : pour le grand anthropologue structuraliste, chaque modèle est un tout avec ses qualités et, en miroir, ses défauts. Donc ni sentiment de supériorité, qui enferme (rait) l’Occident la vision, ethnocentriste et évolutionniste née avec le colonialisme, ni complexe d’infériorité, qui s’érige (rait) en plafond de verre pour l’ex-colonisé. « À prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais. »(J.-J. Rousseau, III, 4) : il ne s’agit pas de démocratiser l’autre différent mais, en toute humilité et objectivité, de moderniser son propre modèle démocratique c’est-à-dire de l’améliorer et de l’adapter à un contexte qui ne cesse de changer.

Développement et Culture (avec grand C, au sens de Valeurs partagées) sont indissociables. On ne bâtit pas sa maison sur du sable. Mais sur un roc : elle résistera ainsi aux vents, aux pluies et aux torrents. C’est pourquoi, la souveraineté des peuples est inscrite dans la Charte des Nations unies de 1945 et réaffirmée dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Chaque peuple doit pouvoir rester maître de son destin et acteur de son avenir.

En effet, la solidarité internationale véritable, le bon vivre ensemble entre les peuples du monde est au prix du respect de ce principe.


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