Goma ou du souffle oppressé au pas libéré

Redigé par Tite Gatabazi
Le 29 décembre 2025 à 12:30

Il est des villes dont l’âme semble vaciller sous le poids de l’histoire, puis qui, dans un sursaut presque inespéré, se redressent et recommencent à respirer. Goma appartient à cette catégorie de cités à la fois tragiques et admirables.

Longtemps confinée dans l’angoisse, encerclée par la hantise de l’imprévisible, elle a vu ses habitants vivre dans une tension permanente où chaque sortie prenait les allures d’une prise de risque. La peur, insidieuse et tenace, s’était invitée dans les gestes les plus ordinaires ; elle gouvernait les déplacements, bridait les conversations et transformait la vie quotidienne en une attente inquiète.

Or voilà que, depuis quelque temps, sans décret ni injonction, un phénomène à la fois simple et bouleversant s’est imposé : chaque dimanche matin, les grandes artères de la ville se transforment en un vaste théâtre civique où la population se rassemble pour un footing collectif.

Des quartiers de Virunga, de Birere, de Katindo et d’ailleurs, affluent des cortèges joyeux et disciplinés. Les participants, de tous âges, s’échelonnent en rangs harmonieusement ordonnés afin de ne point entraver la circulation ; les enfants, courent aux côtés de leurs aînés, mêlant leurs pas à ceux de la génération des adultes. Des chants cadencés rythment la marche et le souffle des coureurs, comme si la ville toute entière avait retrouvé une même pulsation.

Ce spectacle possède une intensité d’autant plus émouvante que l’on se remémore la situation d’il y a à peine un an : un tel élan collectif relevait alors de la pure chimère. Là où aujourd’hui le rire circule, régnait hier une inquiétude diffuse ; là où la foule se rassemble pour le sport et la convivialité, dominait autrefois le réflexe de se claquemurer chez soi.

L’espace public, qui est le lieu symbolique de la citoyenneté, se voit désormais réapproprié par ceux qui en avaient été dépossédés par la peur.

Goma, en renouant avec la vie au grand jour, manifeste une renaissance intérieure qui dépasse largement l’exercice physique : elle redevient sujet de sa propre histoire.

Le footing dominical n’est pas une simple pratique sportive ; il constitue une véritable métaphore politique et sociale. Dans ces pas cadencés se lit la reconquête d’une liberté élémentaire : celle de circuler sans crainte, d’occuper la rue sans appréhension, de se rassembler sans craindre l’arbitraire.

La sécurité, désormais perceptible et vécue, n’efface certes ni les douleurs passées ni les pertes subies ; mais elle permet de passer de la survie à la vie, de l’angoisse paralysante à l’espérance active.

Ce retour progressif à la quiétude n’implique nul oubli : la mémoire demeure, vigilante et lucide. Les habitants n’ignorent rien des heures sombres traversées ; ils savent ce que signifie sortir « la boule au ventre » et se sentir exposé à des forces qui leur échappaient.

Mais loin d’en rester prisonniers, ils transforment cette mémoire en énergie de reconstruction. En foulant ensemble le bitume de leurs avenues, ils affirment silencieusement que la ville ne se résume pas à ses épreuves mais qu’elle est porteuse d’un avenir possible.

Ainsi, la légèreté nouvelle qui flotte sur Goma n’est ni inconséquence ni insouciance naïve : elle est la forme que prend la dignité retrouvée. Elle témoigne d’un peuple qui, après avoir longuement vécu sous le joug de la peur, s’autorise à respirer pleinement et à réinvestir l’espace commun.

Ces rassemblements dominicaux disent, mieux que de longs discours, la profondeur d’une aspiration : vivre debout, ensemble, dans une cité pacifiée où le sport devient langage de cohésion, d’espérance et de liberté.

Goma, en renouant avec la vie au grand jour, manifeste une renaissance intérieure qui dépasse largement l’exercice physique

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