La consécration par le TPIR de la responsabilité pénale des médias de la haine

Redigé par Tite Gatabazi
Le 27 décembre 2025 à 02:45

La création du tribunal Pénal International pour le Rwanda « TPIR » a marqué un tournant majeur dans l’histoire de la justice pénale internationale : pour la première fois, la parole publique, non plus seulement l’acte matériel, était appréhendée comme vecteur de criminalité de masse.

Le Tribunal, en se saisissant du rôle des médias rwandais au premier rang desquels la Radio-Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) et certains organes de presse écrite a élaboré une jurisprudence fondatrice définissant les contours de la responsabilité pénale des professionnels de l’information lorsque celle-ci se change en instrument d’exclusion et d’extermination.

La caractéristique essentielle de ce contentieux réside dans la qualification d’« incitation directe et publique » à commettre des crimes internationaux, notamment le génocide. Loin de se limiter à la réprobation morale de propos outranciers, le TPIR a démontré que des messages apparemment « simples » slogans, injonctions, désignations répétées d’un groupe comme ennemi absolu, pouvaient constituer un levier de mobilisation meurtrière.

La parole médiatique a ainsi été appréhendée non comme un phénomène accessoire, mais comme l’une des infrastructures essentielles du crime collectif : elle crée l’imaginaire de la haine, elle construit la figure de l’ennemi à éliminer, elle légitime la participation du plus grand nombre.

Dans cet esprit, le TPIR a consacré une responsabilité à la fois individuelle et hiérarchique. Non seulement les animateurs et journalistes qui prenaient directement la parole furent jugés, mais également les dirigeants, financiers et organisateurs de ces structures médiatiques.

Ce faisant, la justice internationale a rappelé que la liberté d’expression, bien que fondamentale, ne saurait être érigée en paravent pour l’appel organisé à la destruction d’un groupe humain. Elle a dessiné un équilibre subtil : protéger la liberté de la presse tout en réaffirmant qu’il existe un seuil au-delà duquel la parole cesse d’être opinion pour devenir participation à l’œuvre criminelle.

La jurisprudence du TPIR : construction d’un droit de la répression de la haine ethnique dans l’ordre international

La jurisprudence du TPIR constitue l’une des pierres angulaires du droit international contemporain relatif à la répression de la haine ethnique. En interprétant les dispositions de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le Tribunal a précisé la notion d’« incitation directe et publique ».

La « directivité » des messages fut comprise non seulement comme une clarté linguistique, mais comme une intelligibilité dans le contexte : le discours se déploie dans un environnement où les codes, les métaphores et les mots de passe sont immédiatement compris par l’auditoire visé.

Le TPIR a ainsi montré que la haine peut se dissimuler derrière l’apparente banalité d’expressions convenues, lesquelles, replacées dans leur contexte socio-politique, prennent une portée meurtrière.

De même, la « publicité » fut largement interprétée : il ne s’agissait pas uniquement d’une proclamation sur la place publique, mais de l’utilisation délibérée de moyens de communication de masse pour toucher le plus grand nombre et pour créer une dynamique collective d’adhésion.

La radiodiffusion devint alors l’un des vecteurs privilégiés de la mobilisation criminelle : elle entre dans chaque foyer, s’impose comme bruit de fond permanent, façonne les représentations et banalise l’inacceptable.

En condamnant les artisans de ces médias, le TPIR a posé des principes cardinaux : les mots ont un poids, les mots engagent, les mots peuvent tuer par procuration lorsqu’ils désignent, stigmatisent et appellent à l’agression. Cette jurisprudence a également une portée préventive : elle trace des lignes rouges dans l’espace public mondial et rappelle aux sociétés contemporaines que la désinhibition de la parole haineuse n’est jamais une simple dérive verbale, mais le prélude possible à des catastrophes humaines.

La répression par le TPIR des médias de la haine dépasse le seul cas rwandais : elle s’inscrit dans une architecture normative destinée à prémunir l’humanité contre la répétition des crimes les plus graves.

En érigeant la responsabilité des communicateurs, journalistes, propriétaires de médias et idéologues de l’onde publique, le Tribunal a montré que la parole n’est pas neutre. Elle peut éclairer ou aveugler, construire la paix ou préparer l’abîme.

La jurisprudence du TPIR demeure ainsi un avertissement solennel : dès lors que la parole publique se mue en entreprise d’exclusion et de déshumanisation, la justice internationale est fondée à intervenir, non pour restreindre la liberté d’expression, mais pour protéger le droit premier : celui de chaque être humain d’exister sans être voué à la destruction par le verbe qui tue avant l’acte.

La création du tribunal Pénal International pour le Rwanda « TPIR » a marqué un tournant majeur dans l’histoire de la justice pénale internationale

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