La géopolitique de la faim ou Minembwe assiégé

Redigé par Tite Gatabazi
Le 13 novembre 2025 à 10:30

L’entretien radiophonique accordé par le porte parole des Forces de défense du Burundi, le général Gaspard Baratuza à la BBC Gahuza Miryango révèle, sous un vernis de jactance martiale, des éléments qui confirment les dénonciations répétées portées par les victimes et leurs défenseurs : le blocus des espaces habités par les Banyamulenge, organisé de fait pour les affamer, les soumettre et les annihiler, mime en creux les procédés sinistres du Holodomor stalinien.

La déclaration du général, empreinte d’un cynisme qui frôle la morgue, illustre d’emblée une contradiction géographique et une manœuvre politique, nier sa présence à Minembwe tout en revendiquant le contrôle du « Point Zéro » situé au dessus des hameaux de Kalingi et de Bidegu, au nord ouest de Minembwe, comme si l’on prétendait que le nord de Kamenge n’est point Bujumbura : un sophisme qui ne trompe guère les populations concernées.

Sur le plan des déploiements, la vérité du terrain est implacable. L’armée burundaise tient plus de soixante dix positions le long des hauts plateaux de Fizi, Mwenga et Uvira ; terres ancestrales des Banyamulenge et opère en connivence avec les milices Wazalendo, les unités des FARDC et les FDLR.

Elle soutient des points d’appui autour de Minembwe, Kicura, Babengwa, Kabanju, Musika, Mwibumba, Mulima et Kipupu tous situés à moins de vingt cinq kilomètres du centre symbolique. Le général Baratuza ne récuse d’ailleurs pas son implantation à Mikalati, Mutendja et Kigazura, aux abords de Mikenke : ses protestations relèvent dès lors moins d’une négation factuelle que d’une manipulation destinée à brouiller la connaissance géographique et sécuritaire du public.

La tactique du blocus humanitaire, telle qu’elle se profile dans les propos du porte parole, porte une intention punitive : priver de vivres les Banyamulenge de Minembwe parce qu’ils « vivent avec l’ennemi ». Or, si le Point Zéro est effectivement l’endroit où se bloquent les circulations en sortie de Minembwe, alors la présence de l’armée burundaise à Minembwe n’est plus contestable ; elle s’y affirme par le fait même du dispositif.

A cet égard, il convient d’interroger la catégorie d’« ennemis » invoquée par le général : désigne t il les Twirwaneho, qui défendent leur communauté menacée d’extinction ? Les Twirwaneho ont, à maintes reprises, communiqué avec les représentants burundais au sujet d’une supposée présence de rebelles burundais dans les hauts plateaux d’Itombwe, allégations qui, sur le terrain comme dans la capitale, avaient abouti à la conclusion d’une absence avérée de ces groupes chez les Banyamulenge.

Le porte parole évoque parallèlement la présence de combattants du Front national de libération (FNL) et de Résistance pour un État de Droit (Red Tabara) à Minembwe. Cette affirmation heurte la plausibilité historique et factuelle : les FNL, auteurs du massacre de Gatumba, entretiennent au mieux des relations ponctuelles avec certaines fractions, mais un partenariat général avec les Banyamulenge demeure hautement improbable.

Quant aux Red Tabara, leur confrontation antérieure avec l’armée burundaise a eu lieu dans des bastions maï maï, et nombre d’opérations associées furent conduites sous le commandement local des Twirwaneho.

En résumé, il n’existe ni Red Tabara ni FNL établis à Minembwe ; il est donc injustifiable et monstrueux de punir femmes et enfants pour la prétendue présence de ces rebelles.
L’histoire a déjà montré combien il est aisé pour ces forces de tuer d’abord et de fabriquer ensuite des justifications.

Sur la stratégie géostratégique, l’argument selon lequel le Point Zéro constituerait une voie directe menaçant Bujumbura est géographiquement absurde. Le Point Zéro se situe à plus de 250 kilomètres d’Uvira ; pour qu’un groupe armé emprunte cet axe vers le lac Tanganyika et atteigne Bujumbura, il faudrait traverser Kanguli, Kilumbi, Kabembwe, Nundu, longer ensuite le littoral du lac Mboko, Makobola, Kigongo, Kalundu, Uvira, Kavinvira puis disposer de moyens logistiques conséquents pour traverser le lac jusqu’à Rumonge et poursuivre vers Bugarama, Muhuta, Gitaza, Kabezi, Nyabiraba et enfin Bujumbura.

Un tel itinéraire met en évidence l’absurdité du prétexte sécuritaire brandie pour justifier la persécution : on cherche, ici, moins la sécurité que le prétexte d’une politique d’éradication.

Ce que le général Baratuza omet de dire est pourtant criant : l’encerclement de Minembwe, de Bijombo et de Rurambo confine à l’enfermement collectif. Entre ces trois entités, les Banyamulenge vivent aujourd’hui dans des ghettos séparés ; leur liberté de circulation est niée, leurs activités économiques et cultuelles sont soumises à des barrages, à des contrôles policiers permanents, à des extorsions et à des exactions régulières jusqu’à l’assassinat, comme celui du jeune Singaye Marebo à Murambya.

Le blocus est triple : économique, social humanitaire et cultuel. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage : le discours officiel laisse transparaître une vérité plus triviale et plus terrible encore la majorité des Banyamulenge sont Tutsi et cette réalité ethnique semble, à elle seule, suffire à déclencher la logique d’exclusion et d’élimination.

On ne saurait, en conséquence, conférer à la rhétorique sécuritaire le pouvoir d’effacer la réalité d’une politique de persécution.

Accuser sans preuve tangible, interdire la circulation de denrées, enfermer des populations dans des ghettos et prétendre agir pour la sécurité nationale revient à convertir l’angoisse stratégique en une méthode de punition collective.

A la lumière des faits, positions, points d’appui, barrages et violences documentées, la responsabilité de l’armée burundaise, directe ou par alliés interposés (FARDC, Wazalendo, FDLR), est engagée. Il importe désormais que la communauté internationale dénonce avec fermeté ces pratiques et que la voix des Banyamulenge soit enfin entendue, non comme un simple témoignage accessoire, mais comme l’appel pressant d’un peuple assiégé réclamant protection et justice.

L’entretien du général Gaspard Baratuza à la BBC Gahuza confirme, sous des airs martiaux, les accusations de blocus visant à affamer et anéantir les Banyamulenge

Publicité

AJOUTER UN COMMENTAIRE

REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Publicité