Le Rwanda est une figure exemplaire de réconciliation

Redigé par Innocent Musore
Le 29 avril 2025 à 10:56

Innocent Musore, militant infatigable de la paix, de la réconciliation et de la justice climatique dans la région des Grands Lacs, consacre depuis plus d’une décennie son engagement à la reconstruction individuelle et nationale du Rwanda, meurtri par le génocide perpétré contre les Tutsis en 1994, drame humain désormais qualifié de « prévisible » et ayant coûté la vie à plus d’un million d’innocents.

Trente années plus tard, malgré les séquelles encore douloureusement perceptibles, le Rwanda se redresse avec une vigueur impressionnante, porté par un leadership éclairé et un peuple animé d’une résilience exemplaire.

Dans l’immédiat après-génocide, un plan national, mûri avec une perspicacité remarquable, a favorisé une coexistence pacifique entre les bourreaux et les survivants, scellant leur réconciliation sous l’égide d’un État fort et visionnaire. Ce processus s’est enraciné dans une dynamique de pardon, de justice restauratrice et de résilience collective, ressuscitant l’unité nationale historique du Rwanda, antérieure à l’ère des divisions coloniales.

Nombreux sont les témoignages de rescapés et d’anciens génocidaires qui attestent de la nature systémique de la haine ethnique, de l’injustice et du divisionnisme, ayant structuré les deux Républiques postcoloniales du pays, dans le prolongement de la politique raciste de « diviser pour régner » introduite par la puissance coloniale.

C’est ce terreau délétère qui permit l’éclosion et la perpétration du génocide, bien après l’accession à une indépendance formelle en 1962. Dès lors, la reconstruction du Rwanda s’est appuyée sur une dynamique diamétralement opposée : ériger la justice, la vérité, le pardon et l’unité du peuple comme socles indéfectibles du renouveau national.

Toutefois, l’expérience a démontré que la seule répression judiciaire des crimes ne suffisait pas à apaiser les blessures profondes. Bon nombre d’anciens bourreaux, graciés après avoir purgé partiellement leur peine, se retrouvaient à coexister avec leurs victimes dans les mêmes communautés, exacerbant ainsi les douleurs non cicatrisées. Cette situation complexe a nécessité des approches novatrices et sensibles, capables de traiter les traumatismes psychologiques partagés tant par les rescapés que par les bourreaux et leurs descendants.

C’est précisément à cette tâche titanesque que je me suis dévoué : contribuer à la guérison des cœurs meurtris, promouvoir une réconciliation sincère et prévenir l’émergence de nouveaux antagonismes, tout en suscitant un engagement intergénérationnel en faveur du développement harmonieux et durable du Rwanda et de la région des Grands Lacs.

Une rencontre marquante avec un ancien génocidaire, incarcéré treize années durant, m’amena à m’interroger sur la conscience historique des jeunes générations issues des auteurs du génocide. De cette interrogation naquit la conviction qu’il fallait instaurer des processus de dialogue en profondeur. C’est alors que je pris connaissance du travail de CFOR (Force for Change) fondé par Arlene Audergon, PhD, et Jean-Claude (paix à son âme) dans les Balkans, et sollicitai leur collaboration pour l’adaptation de leur méthodologie au contexte rwandais et congolais.

Notre premier cercle de dialogue à Kigali illustra avec éloquence la puissance transformatrice de cette approche. Un ancien militaire des FAR, ayant participé au massacre de plus de cinq mille Tutsis à la paroisse catholique de Gahanga, livra son témoignage. A son insu, une rescapée de ce carnage se trouvait présente. La confrontation brutale de leurs récits provoqua une onde de choc parmi les participants. Une médiation sensible permit néanmoins une démarche de pardon public : l’ancien bourreau s’agenouilla devant la victime et sollicita, humblement, son pardon, libérant ainsi les deux parties d’un poids psychique incommensurable.

D’autres expériences illustrèrent l’importance du travail intérieur préalable à toute réconciliation authentique.

A Bugesera, un ancien génocidaire, après avoir reconnu ses fautes dans le cadre de nos dialogues, entreprit de confesser ses crimes à ses propres enfants, levant ainsi le voile du déni et favorisant une acceptation mutuelle porteuse d’avenir. De tels témoignages démontrent que la réconciliation des cœurs parentaux ouvre la voie à la réconciliation entre leurs descendants.

En 2020, forts de cette dynamique, nombre de parents issus des deux camps entreprirent de partager avec leurs enfants la vérité de leur histoire familiale, contribuant ainsi à briser les chaînes de la honte, du silence et du ressentiment intergénérationnel. Ce travail de mémoire partagé s’avéra crucial pour empêcher la perpétuation des blessures invisibles.

De surcroît, il apparut que les enfants des bourreaux, victimes d’une honte induite et de stigmatisations sociales, se retrouvaient aussi meurtris que les enfants des rescapés, souvent exposés aux crises traumatiques de leurs parents, surtout lors des périodes commémoratives.

Les méthodes employées, notamment le travail en petits groupes avant les sessions plénières, inspirées du « Worldwork method » se révélèrent d’une efficacité remarquable pour permettre aux participants de verbaliser des expériences jusque-là enfouies, libérant ainsi les paroles et accélérant le processus de guérison.

Dans ces dialogues, la présence de figures héroïques connues sous l’appellation des Justes (Abarinzi b’Igihango), ayant risqué leur vie pour sauver des Tutsis, apporta également un souffle d’humanisme et d’espérance. L’une d’entre elles, une mère ayant sauvé six Tutsis au péril de sa vie, déclara avoir agi par pur humanisme soulignant ainsi la rareté tragique de cette vertu lors du génocide, et la nécessité vitale de l’enseigner aux jeunes générations.

Les témoignages unanimes saluèrent l’approche fondée sur l’écoute active, la patience et l’espace sécurisé offert aux participants pour exprimer leurs douleurs, restaurer leur dignité, et entrevoir la possibilité d’un avenir commun.

A travers cette expérience immersive, il m’apparut avec force que les séquelles du génocide, loin de se limiter aux rescapés, touchent également les bourreaux, leurs enfants et plus largement l’ensemble du corps social rwandais, entravant leur plein épanouissement tant individuel que collectif. Refouler ces traumatismes ne fait que les exacerber ; seule une parole libérée et écoutée peut amorcer la véritable guérison.

A titre d’exemple, une rescapée du district de Gasabo témoigna qu’après quinze ans d’évitement, elle avait pu réintégrer son ancienne communauté ecclésiale grâce aux dialogues de réconciliation, pardonnant au pasteur qui avait refusé de la protéger. De même, un jeune rescapé de Rwamagana retrouva la sécurité intérieure nécessaire pour regagner son village natal, longtemps déserté par crainte de représailles.

Ainsi, il ressort avec éclat que le travail patient de réunification des cœurs meurtris favorise non seulement la paix intérieure, mais aussi l’engagement actif des jeunes dans des chantiers de développement communautaire, tels que les initiatives d’Umuganda ou la construction d’infrastructures publiques, consolidant la résilience nationale.

En définitive, au regard du chemin parcouru, des obstacles surmontés, et de l’espoir reconquis, il m’apparaît avec évidence que le Président Paul Kagame, artisan majeur de la cessation du génocide et de la renaissance du vivre-ensemble au Rwanda, mérite, aux yeux de l’Histoire et de la conscience humaine, d’être honoré par le Prix Nobel de la Paix.


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