Loin de relever d’une simple errance post-conflit, cette captivité prolongée s’est constituée en véritable système de domination, où l’idéologie génocidaire s’est pérennisée par la contrainte physique et la manipulation mentale. Ce drame silencieux, pourtant connu de longue date, s’est heurté à un mur d’inertie de la part de la plupart des organisations humanitaires, dont le silence assourdissant, voire complaisant, a participé à l’occultation de cette réalité profondément dérangeante.
En refusant de nommer les choses c’est-à-dire de reconnaître que des civils, prétendument réfugiés, furent en réalité séquestrés, enrôlés de force ou instrumentalisés comme boucliers humains par des milices criminelles, ces organisations ont contribué, fût-ce par omission, à la perpétuation d’une violence structurelle.
Il y a, en cela, une profonde faillite de l’éthique de l’assistance : celle qui prétend secourir sans jamais interroger la responsabilité des destinataires, ni assumer les effets pervers de ses interventions. Le retour volontaire, dans ce contexte, ne saurait être réduit à un simple déplacement administratif ; il constitue un acte de libération, un arrachement aux chaînes de l’assujettissement idéologique, et une réparation, tardive mais nécessaire, d’un déni collectif longtemps entretenu au nom d’une neutralité devenue, en certains cas, une forme de complicité silencieuse.
Les récentes opérations de rapatriement de civils rwandais depuis l’Est de la République démocratique du Congo ont, ce week-end encore, suscité une abondante floraison de commentaires sur les réseaux sociaux et diverses plateformes médiatiques.
Toutefois, derrière l’apparente unanimité de la terminologie, rapatriement de réfugiés, se dissimule une réalité infiniment plus complexe, dont l’occultation systématique trahit l’ambiguïté volontaire des discours dominants. Car ceux que l’on qualifie aujourd’hui de "rapatriés" furent, pour nombre d’entre eux, moins des réfugiés au sens strict du terme que des otages des FDLR ayant érigé la captivité collective en stratégie politico-militaire.
Il convient de rappeler, à titre de fondement historique, que la confusion originelle entre population civile en détresse et combattants lourdement armés remonte aux lendemains immédiats du génocide contre les tutsi de 1994.
Dès 1995, cette indistinction tragique est dénoncée par plusieurs acteurs humanitaires majeurs : quinze organisations internationales remettront en question leur présence dans les camps établis au Zaïre, tandis que Médecins Sans Frontières (France) ira jusqu’à annoncer son retrait. Ce geste, rare et lourd de sens, témoignait déjà d’une profonde crise éthique au sein du secteur humanitaire, confronté à la périlleuse instrumentalisation de l’aide par les ex-FAR et les milices Interahamwe qui avaient pris les réfugiés en otage.
La problématique ici soulevée n’est pas exclusivement logistique ou sécuritaire : elle touche au cœur même de la philosophie de l’humanitaire. Car prêter assistance, ce n’est pas simplement répondre à une détresse visible ; c’est aussi s’interroger sur les conséquences objectives de l’action entreprise. En entretenant des camps où la frontière entre victimes et bourreaux était brouillée à dessein, la communauté humanitaire internationale s’est trouvée, nolens volens, complice d’un régime de captivité collective, où des dizaines de milliers de Hutu rwandais pour la plupart non-combattants furent pris en étau par des factions politico-militaires génocidaires.
Plus grave encore, cette stratégie d’asservissement moral et physique ne s’est jamais véritablement interrompue. Les FDLR, héritières idéologiques et structurelles des milices génocidaires, ont perpétué ce système d’emprise sur les populations hutu demeurées sur le sol congolais. En leur inculquant un discours négationniste et en diabolisant le Rwanda post-génocide, ces groupes armés ont activement dissuadé tout retour volontaire, condamnant ces populations à une errance perpétuelle, à la fois géographique et ontologique.
Or, c’est précisément ce système d’otage que les opérations militaires récentes menées par les forces de l’AFC/M23 sont venues briser. En libérant certaines zones historiquement contrôlées par les FDLR, ces forces ont permis, en collaboration avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), de mettre en œuvre un processus de tri, d’identification et, enfin, de rapatriement réellement volontaire.
Loin d’être une opération de force, il s’est agi, au contraire, de restituer à des milliers d’individus un droit fondamental : celui de retourner librement dans leur pays d’origine, sans entraves idéologiques ni menaces armées.
Cependant, malgré cette avancée significative, la réception médiatique et institutionnelle de ces événements demeure prisonnière de vieux schèmes biaisés. L’emploi d’un vocabulaire générique rapatriés, réfugiés, déplacés entretient l’amalgame et empêche une lecture fine des responsabilités. Il est frappant de constater que ces civils, longtemps livrés à la violence des FDLR, n’ont jamais suscité une mobilisation humanitaire à la hauteur de leur détresse. Pire : leur situation fut souvent relativisée, voire ignorée, par nombre d’organisations se prétendant défenseures des droits humains.
Une réflexion lucide impose dès lors de reconsidérer les responsabilités différenciées dans ce drame humanitaire prolongé. D’un côté, l’humanitaire ne peut se prévaloir d’une neutralité tout en fermant les yeux sur les effets pervers de sa propre logistique. De l’autre, les victimes elles-mêmes ne sauraient être perçues comme radicalement exemptes de toute implication : une part de lucidité éthique leur est également exigible.
La frontière entre l’innocence passive et la collaboration contrainte voire volontaire doit être interrogée avec prudence, sans céder à la simplification manichéenne.
Enfin, l’histoire retiendra, si elle est honnêtement écrite, que ces rapatriés d’aujourd’hui furent des oubliés d’hier. Ils témoignent de l’inanité d’une aide internationale déconnectée des dynamiques locales et aveuglée par ses propres narratifs. Leur retour, désormais possible, ne doit pas être seulement salué comme une opération logistique réussie : il doit être analysé comme le fruit d’un rééquilibrage des rapports de force, d’une restauration de l’autonomie individuelle, et d’un acte de réparation, certes imparfait, mais nécessaire.





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