Fidel Castro, un panafricaniste engagé contre l’impérialiste américano sud-africain

Redigé par Jean Baptiste Rucibigango
Le 5 décembre 2016 à 10:40

L’une des lacunes stratégiques dans la formation de l’OUA-future Union Africaine [UA]- en mai 1963, est d’exclure a priori les pays des Amériques peuplés à majorité ou en fortes proportions d’Afro-Américains descendants de l’immense Diaspora, consécutive à la Traite Négrière.
Des années 1960 - 1980, la Caraïbe, en particulier, constituait un vaste laboratoire idéologique, politique, culturel et social d’éveil panafricaniste et anti-néo-colonialiste. À partir de 1959, avec le triomphe de la révolution (...)

L’une des lacunes stratégiques dans la formation de l’OUA-future Union Africaine [UA]- en mai 1963, est d’exclure a priori les pays des Amériques peuplés à majorité ou en fortes proportions d’Afro-Américains descendants de l’immense Diaspora, consécutive à la Traite Négrière.

Des années 1960 - 1980, la Caraïbe, en particulier, constituait un vaste laboratoire idéologique, politique, culturel et social d’éveil panafricaniste et anti-néo-colonialiste.

À partir de 1959, avec le triomphe de la révolution Castriste, c’est notamment de l’île de Cuba que le nouveau souffle panafricaniste prend source et se répand comme une traînée de poudre, fondé sur un mouvement socialiste, révolutionnaire, intégrant sa composante Africaine. Alors que des régimes néo-colonialistes s’installent en Afrique-notamment au Congo ex-Belge après l’assassinant de Patrice Lumumba-et que la répression policière fait rage aux USA contre les mouvements Afro-Américains, ce qui se joue dans cette île mérite une attention particulière. Car c’est de là, et de la Jamaïque sur le plan culturel avec l’essor de la musique Reggae, qu’est relancée la nouvelle dynamique panafricaniste.

CUBA : « Le sang africain coule abondamment dans nos veines »

Ce n’est qu’en 1895, quelques années après l’accession des colonies Espagnoles du continent Américain à l’indépendance, vers 1820, et après l’abolition de la Traite Négrière en 1867, que l’île de Cuba parvient à réaliser sa première révolution. Celle dont l’île hérite son drapeau. Un aboutissement victorieux des revendications des travailleurs Noirs et des propriétaires Blancs ruinés par la chute des cours des prix du sucre sur les marchés internationaux, dont le célèbre poète nationaliste José Marti et le Parti révolutionnaire de Cuba furent l’incarnation. Ce processus débouche à la proclamation de l’indépendance de l’île de Cuba, à l’issue d’une guerre de libération menée par l’alliance d’un général métis, Máximo Gomez, et d’un général Noir, Antonio Maceo.

Le Commandante Castro encore jeune
Toutefois, cette révolution est vite récupérée par les USA qui, prétextant l’explosion d’un navire Américain dans la rade de la Havane, placent désormais Cuba sous Tutelle quasi-permanente, économique et militaire, dès 1902.

Ainsi, lorsque les « Barbudos », dont Fidel Castro et Ernesto « Che » Guevara, triomphent finalement à la Havane, le 1er janvier 1959, ils mettent fin à un système d’oppression qui avait duré plus d’un demi-siècle, qui avait fait de Cuba un terrain de jeu, de prostitution, et une succursale du capitalisme Américain. En même temps, la libération de l’île s’imposait comme un modèle alternatif à tous les pays et peuples placés sous la domination colonialiste, néo-colonialiste ou impérialiste-notamment ceux d’Afrique et d’Amérique Latine.

Rompant avec la discrimination raciale perpétuée par l’occupation Américaine, la révolution Cubaine de 1959 cherche à éliminer complètement le racisme institutionnel entre Blanc, Mulâtre et Noir, et à rendre leur dignité aux Afro-Cubains en valorisant leurs arts, leur culture ancestrale ainsi que leur histoire. Ce qui rencontra un écho favorable dans les milieux Afro-Américains aux USA, dans le camp du bloc socialiste, y compris l’ex-URSS, et en Afrique, mais aussi en Asie.

On rapporte cette anecdote : Venu participer à l’assemblée générale de l’ONU en septembre 1960, Fidel Castro quitte son hôtel de Manhattan à la suite du harcèlement des autorités Américaines et du comportement raciste du personnel. Sans hésiter, la délégation Cubaine accepte la proposition de Malcom X de venir loger à l’hôtel Theresa, en plein cœur de Harlem.

Accueillie par une foule scandant « Liberté pour l’Algérie ! », « Hors du Congo » ou « Vive Cuba ! », la délégation Cubaine reçoit ensuite les visites de Kwamé Nkrumah, Nehru, Nasser, Sukarno, Tito et Khrouchtchev. Fidel Castro quitte New York avec une très bonne image de la résistance Afro-Américaine, et c’est probablement à partir de cet instant, qu’il aurait pris son engagement en faveur du Congo ex-Belge, future et actuelle RDC, après sa vive critique de l’obstruction manifeste de l’ONU au Congo et l’annonce du lâche assassinant perpétré contre Lumumba, en janvier 1961.

L’envoi d’Ernesto « Che » Guevara en Afrique
Après l’assemblée générale de l’ONU en septembre 1960 qui fut un fiasco pour l’avenir du Congo ex-Léopoldville [lire supra], La Havane se rapproche alors du groupe de Casablanca, constitué en 1961, et envoie El commandante « Che » Guevara sur le continent Africain pour approfondir ses relations, et se familiariser, avec le souverain Marocain Mohamed V, le leader socialiste Marocain Mehdi Ben Barka, les présidents Algérien, Egyptien, Guinéen, Ghanéen, Malien et Tanzanien [respectivement : Ben Bella, Gamal Abdel Nasser, Sekou Touré, Nkrumah, Modibo Keita et Nyerere]. On sait la suite : à la tête d’un commando de combattants Cubains particulièrement aguerris, le célèbre guérillero, le « Che », sous son nom de code de « Tatu » lui donné par un révolutionnaire de Zanzibar, Abdulrahman Babu, s’envole, déguisé en homme d’Affaire, en avril 1965, via Prague pour Dar Es Salaam, en Tanzanie.

Avec ses hommes, tous Noirs pour ne pas se faire repérer par des agents de la CIA qui pullulaient dans la région-mais qui découvraient pour la première fois l’Afrique, il part, via Kigoma, dans l’Est du Congo avec l’objectif d’ « ouvrir un troisième front anti-impérialiste après le Viet Nam et l’Amérique du Sud ». Avec des guérilleros Rwandais commandés par Joseph Mudandi, les volontaires Cubains livrent quelques violents combats contre les mercenaires Blancs Sud-Africains du colonel Mike Hoare et l’armée régulière de Mobutu, mais par les défaillances de la potion magique « Dawa », la désorganisation notoire et la faiblesse idéologique des rebelles Lumumbites dirigés par Laurent-Désiré Kabila-Senior, la tête de pont Cubano-Rwandaise de Kibamba fut mise en déroute. Au cours de ces affrontements sans lendemain, quasi-homériques, Cubains et Rwandais s’étaient découvert une identité culturelle commune, selon le <>. Cf. Benoît Verhaegen, Figures et paradoxes de l’Histoire [2002], p.325.

Après cet échec humiliant [cf. Les années où nous étions nulle part d’Ernesto « Che » Guevara], Cuba continua, en dépit de tout, de soutenir les régimes progressistes d’Afrique par ses programmes d’entraînement et de formation des cadres militaires, des médecins et d’éducateurs sociaux. Ainsi, rappelant toujours-à la suite du poète José Marti-que « le sang Africain coule abondamment dans nos veines », Fidel Castro pratique une forme de panafricanisme d’État à Cuba : sous son leadership, ce pays accueillait, en effet, régulièrement les combattants des mouvements de libération Afro-Américains en exil-y compris le futur président Paul Kagame qui a reçu une formation militaire à Cuba-, invite les représentants de la résistance Afro-Américaine à séjourner dans sa Capitale et a envoyé des milliers d’hommes combattre l’oppression sur le continent Africain lui-même [lire infra].

Ici, il faut insister, de manière spéciale, sur, au moins une intervention Cubaine en Angola. Un jeune lecteur de cet article a de la peine à ressentir ce que l’Afrique du Sud sous le régime d’Apartheid représentait dans l’imaginaire des Africains, en général : les racistes Blancs de Pretoria suscitaient chez les femmes et les hommes Noirs une haine, une angoisse au moins aussi puissantes que les Nazis chez les populations Juives, Russes, Tziganes de l’Europe de l’Est lors de la Seconde Guerre mondiale. À la fin des années 1970, quiconque collaborait avec l’Afrique du Sud était immédiatement, cordialement, détesté et haï globalement presque par tous les Africains.

L’ « Opération Carlotta » et la libération intégrale de l’Afrique Australe
À l’aube du 11 novembre 1975 une force d’attaque de 1.500 hommes-des soldats du FNLA, le 7ème et le 4ème Bataillon parachutiste zaïrois, accompagnés d’environ une centaine de mercenaires Portugais d’origine Angolaise-précédée de 12 véhicules blindés et suivie de 2 canons Nord-Coréens de 130 mm et de 4 pièces d’artillerie Sud-Africaines autotractées, pénétrait dans la vallée de Quifangondo, à 20 km au Nord de Luanda. Postés sur une colline, quelques conseillers de la CIA observaient discrètement leur progression. Au même moment à Langley, en Virginie, aux USA, le QG de la CIA et l’Angolan Task Force fêtaient la chute de Luanda et du MPLA par une « office party » typiquement Américaine, c’est - à - dire avec des bières, rires, décorations de papier mâché au mur, fromage et vin Californien servi dans de petits gobelets en carton frappé de la bannière étoilée. Cf. Jean Ziegler, les Rebelles [1985], p. 412.

Célébration prématurée, car en ce moment-là, le sort des armes n’avait pas encore décidé de l’issue finale et définitive de la lutte de libération d’Angola : dans la vaste cuvette qui s’étend jusqu’à la mer, les orgues de Staline de l’armée Cubaine, soutenant les FAPLA, [Forces Armées Populaires de Libération d’Angola] ouvrirent le feu. Selon Cyrilla Bwakira, une assistante Burundaise du chercheur Jean Ziegler, « montés sur des camions », les râteliers de fusées envoyèrent, par paquets de 20, salve après salve sur les agresseurs Angolo-zaïrois qui –terrorisés-couraient sans couverture dans la plaine. Les survivants de la colonne, notamment ceux de la Division Kamanyola des ex-FAZ, nommèrent, plus tard, cette vallée « Nashila wa Lufu », la plaine de la mort.

La défaite des forces FNLA et de la Division Kamanyola dans la vallée de Quifangando eut des conséquences inattendues : les troupes d’élite des FAZ [Forces Armées de Mobutu], y compris les para-commandos dépités se répandirent dans les campagnes du Nord-Angola, pillant, violant et massacrant les paysans Bakongo, pourtant partisans du FNLA et farouchement ennemis du MPLA et de son leader incontesté-Feu Dr Agosthino Neto. John Stockwell, un agent de la CIA note :

« Lorsque les combattants du MPLA et les Cubains arrivèrent finalement dans le Nord, même les villageois Bakongo les saluaient comme des libérateurs ». Cf. In Search of Enemies, p.215.

Le 11 novembre 1975, il y avait 2.800 militaires professionnels Cubains en Angola. L’Opération « Carlotta », du nom de code emprunté au chef noir de l’insurrection des esclaves à Matanzas, en 1843, avait rassemblé, en février 1976, 15.000 combattants Cubains, qui s’étaient déplacés en bateau ou par des avions russes Antonov à travers l’Atlantique. Ibidem, p.451 sq.

La Bataille sur le verrou stratégique de la Cunene
À la même époque, 3 colonnes Sud-Africaines appuyant les troupes pléthoriques de l’UNITA de Jonas Savimbi avancèrent du Centre-Sud, s’emparèrent du chemin de fer de Benguela, et se déployèrent massivement dans la province de Mocamedes et sur le cours de la rivière Cunene ainsi que dans la province du même nom.

Le 14 novembre 1975, les Sud-Africains prirent la ville de Porto Amboin, à moins de 160 km au Sud de Luanda. Une autre colonne Sud-Africaine bifurqua vers Malange, mais celle-ci se heurta, le 17 décembre, aux blindés de fabrication Soviétique T-54 et les fusées « Katiouschas » de 122 mm de l’armée régulière Cubaine.

Au cours de très durs affrontements particulièrement sanglants, les FAPLA du MPLA et le corps expéditionnaire Cubain en Angola subirent des centaines sinon des milliers de morts. Mais, en définitive, la force d’invasion Sud-Africaine fut défaite de la façon la plus humiliante sur ses deux flancs de son offensive et, en mars 1976, elle quitta confusément le territoire Angolais, en attendant d’y revenir plus tard.

Enfin, inscrite dans la durée, l’alliance des forces Cubaines et des FAPLA permettra, en 1988, de repousser une nouvelle fois l’invasion Sud-Africaine lors de la bataille historique de Cuito-Cuanavale, qui précipita, en final, la chute définitive du honteux système d’Apartheid, la libération de Madiba Nelson Mandela, et la libération intégrale de toute l’Afrique Australe, y compris la Namibie.

En juillet 1991, au cours de sa première visite à l’étranger, le président Mandela tint à en remercier, très chaleureusement, Fidel Castro, à la Havane. En fait, c’est toute l’Afrique libre qui devrait, aujourd’hui, en rendre un vibrant hommage à Fidel Castro, héros consensuel de presque tous les Damnés de la Terre- en paraphrasant ainsi Frantz Fanon, une autre figure de légende Tiers-Mondiste.


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