C’est un livre majeur sur le génocide et la guerre de libération au Rwanda. Il répond, en effet, à la question brûlante sur les lèvres depuis longtemps : comment l’APR (Armée patriotique rwandaise) a pu vaincre les FAR (Forces armées rwandaises), armée de loin supérieure en équipements militaires et de loin supérieure en nombre de combattants ?

Cependant, l’auteur prend un long détour mais nécessaire pour situer le propos dans l’histoire politique du Rwanda depuis la Colonisation jusqu’au génocide et à la fin de la guerre. Le livre selit facilement à partir d’une division du contenu en deux parties presque égales.
La première partie, qui se compose de 10 chapitres, analyse les causes de la destruction du tissu social rwandais. Il rappelle, comme bien d’autres études,comment les graines de l’ethnisme ont été semées dans le pays par des ethnologues belges.
Il est souligné dans cette section comment les identités ethniques, qui ont été introduites par la colonisation belge, ont été ensuite utilisées politiquement par celle-ci tout d’abord pour exclure des Bahutu de l’administration coloniale (Loi Mortehan, 1927), contrairement aux traditions du temps des Bami, pour mettre ensuite le parti PARMEHUTU au pouvoir au moment de l’indépendance au détriment des Batutsi.
Elle raconte ainsi comment cette décolonisation bâclée a conduit au massacres des Batutsi dans les années 60. Toutes proportions gardées, ces faits sont connus du lecteur.
C’est sur un autre plan que le livre innove
La description de la vie des réfugiés dans les camps d’infortune est originale et inédite. Car si des livres évoquent vaguement la dureté de la vie pour les réfugiés rwandais dans les camps de Mushisha, Kayongozi, Kigamba, Nyarunazi (au Burundi) ou Nyakivala et Nshungerezi (en Ouganda), celui-ci apporte une touche particulière. Il raconte la vie dans le quotidien des gens, surtout les premiers moments de l’installation pour ces pasteurs dont le troupeau avait été razzié au moment où ils quittaient le Rwanda et qui sont obligés dorénavant de recommencer à zéro.

Dr Commissaire de Police Daniel Nyamwasa, auteur du livre “Le Mal Rwandais : De la racine au paroxysime du Genocide des Tutsi”
Le livre de Nyamwasa complète ainsi celui de Jean-Marie-Vianney Rurangwa (Un Rwandais sur les routes de l’exil, 2013) sur le camp de Nyarunazi, au nord-est du Burundi. À la seule différence que le livre de Rurangwa est un témoignage au sens strict alors que pour celui de Nyamwasa, les fragments de témoignage servent à soutenir la thèse centrale du livre : le droit du retour au pays, au besoin, comme ce fut le cas avec les armes à la main.
Ce temps des camps, qui était dépourvu de sens, n’augurait rien de l’avenir. Il note que sans haine, mais avec de plus en plus de méfiance vis-à-vis du pays d’accueil, l’idée que seul le retour au Rwanda serait la solution était partagée par tous les réfugiés au début des années 1980. Les chapitres, consacrés à la prise de conscience politique après la défaite des Inyenzi, sont très intéressants et présentent nettement cette histoire sociale jusqu’ici inconnue du grand public.
Du RANU au FPR
La seconde partie, qui a 15 chapitres, analyse minutieusement le développement d’une telle conscience politique parmi les réfugiés rwandais à travers le monde. Du point de vue testimonial, l’auteur insiste sur des exemples des camps au Burundi et, dans une certaine mesure, en Ouganda pour rappeler comment cette conscience politique des réfugiés a donné naissance aux organisations politiques comme la RANU (Rwandese Alliance for National Unity) et le FPR, plus tard. Il note également que celui-ci avait d’abord la mission de sensibiliser tous les Rwandais sur les abus du régime de Habyarimana et proposer des solutions à cet épineux problème.
En tant que guérilla, l’APR, était une branche armée du Front Patriotique Rwandais (FPR), rappelle l’auteur. En cette qualité, les combattants de l’APR ont reçu une double formation politique et militaire. Comme dans toute guérilla, son action militaire a été précédée par la phase de formation sur l’histoire politique du Rwanda. Ici l’auteur souligne que depuis la Colonisation belge et les régimes de Kayibanda et Habyarimana le tissu social rwandais a été brisé par des considérations ethniques et tribalistes.
Dans la tradition de toute guérilla, la réponse de l’auteur est qu’une armée a d’abord et avant tout la mission de protéger les citoyens contre un régime jugé oppresseur. En soutenant le régime de Habyarimana avec ses discriminations ethnique (Batutsi) et régionale (Bahutu autres que ceux du Nord), les FARavaient perdu la légitimité d’une armée nationale. Car, rappelle l’auteur celle-ci a la mission primordiale de veiller scrupuleusement aux droits humains, à la justice et à l’équité pour tous les citoyens. Une fois que ces principes ne forment plus l’armature morale et intellectuelle des cadres de l’armée, celle-ci perd toute motivation et toute mobilisation pour la défense de la nation. Cette section est certes un témoignage mais il procède également de la réflexion politique sur les techniques de guérilla.

Écrit par un officier médecin, le livre aborde aussi la question des soins aux blessés en zone de combats enl’absence de la Croix-Rouge qui, d’habitude, s’en occupe. Cet abandon du Rwanda par presque tous les pays est également analysé en évoquant, par exemple, comment les troupes de l’ONU lourdement armées ont laissé les civils menacés de l’École polytechnique de Kicukiro aux mains des bourreaux. Il raconte comment dans la nuit ayant suivi le carnage de Nyanza de Kicukiro, les unités de l’APR ont pu secourir et soigner quelques rares rescapés, après avoir chassé le régiment des FAR positionné sur lieux.
Si l’auteur a écrit cette histoire de l’APR durant la guerre de libération et le génocide, c’est pour établir un contraste avec ceux qui disent que le FPR n’a rienfait pour secourir les civils Tutsi et les Hutu de l’opposition menacés par le Hutu Power et les FAR. Il défend ainsi un point de vue politique auquel il essaie subtilement de convertir le lecteur. Il réussit habituellement parce que le livre évoque les faits, en donnant les noms des acteurs, le lieu où ils se sont déroulés et le temps de leurs manifestations.
À la fin du livre, en épilogue, il revient sur la question centrale pour tout citoyen rwandais depuis la faille ethnique de l’époque coloniale et sa cristallisation dans les régimes de Kayibanda et Habyarimana. Il se demande comment reconstruire l’âme de la nation dans le triptyque imbaga y’inyabutatu où les dimensions sociales hutu, tutsi et twa de la sphère privée se dissolvent dans l’identité nationale rwandaise dans l’espace public. Tel était déjà la parole du mwami Mutara III Rudahigwa vers la fin des années 50 après la diffusion du brûlot tribaliste du Manifeste des Bahutu (1957). Nyamwasa considère que c’est là un projet politique au sens large du terme : comment construire une cité viable pour tous.
Ce livre répond également et de façon indirecte aux thèses fumeuses des négationnistes à travers le monde, et dont l’une des propagandes la plus subtile est de dire que l’APR a sacrifié les Tutsi de l’intérieur à ses propres objectifs politiques. Ironie du sort, c’est qu’elle est diffusée par le Hutu Power et les milieux occidentaux qui le soutenaient au moment du génocide. Maintenant ils versent des larmes de crocodiles pour les rescapés alors qu’ils ont tués leurs parents !
Une telle insulte à l’intelligence voudrait faire des sympathisants du Hutu Power des défenseurs des rescapés. Car le but de cette propagande est de créer l’incertitude, l’inquiétude et même l’insécurité chez les rescapés et les autres citoyens. En quelque sorte ce livre est un rappel à la raison objective, souligne l’auteur : si l’APR n’avait pas gagné la guerre contre les FAR, il n’y aurait ni rescapés ni politique de réconciliation nationale. Le Hutu Power aurait continué de régner sur le pays. A-t-on jamais commémoré, aux temps forts du PARMEHUTU, des rescapés de Gikongoro, Nyamata, Cyangugu et d’ailleurs en 1959, 1963-1964 ? À y penser ça donne froid au dos !
Sur certains aspects du drame rwandais, le lecteur complétera sa lecture, par d’autres livres. Outre ceux que l’auteur cite abondamment, sur la ségrégation des Batutsi de l’intérieur sous les régimes de Kayibanda et Habyarimana, le livre d’Antoine Mugesera - Imibereho y’Abatutsi kuri Republika ya mbere n’iya kabiri (1959-1990) et Les conditions de vie des Tutsi au Rwanda de 1959 à 1990 (2015) est incontournable. Il est très documenté par les nombreuses archives que cet auteur cite sur toutes les lois et pratiques discriminatoires. Et sur le caractère collectif du génocide des Tutsi, il consultera avec intérêt le livre majeur sur le sujet de Jean-Paul Kimonyo – Rwanda. Un génocide populaire, 2008 – et bien d’autres études.
En définitive, le livre revient en filigrane sur l’idée centrale selon laquelle si l’APR a réussi un tel exploit de vaincre les FAR suréquipées, c’est qu’elle était la branche armée d’une organisation politique très bien structurée politiquement et idéologiquement : défendre la justice pour tous les Rwandais et le droit de chacun à vivre libre dans son pays.
Trois charpentes du livre
Il convient de noter que ce livre a trois tonalités majeures : un témoignage sur la guerre de libération, la vie dans les camps des réfugiés et un essai politique sur la réconciliation après le génocide. Sur ce dernier point l’auteur insiste de façon presque répétitive sur le rôle qu’une armée issue d’une guérilla, et devenue plus tard une armée nationale, doit y jouer. Car, lit-on en entre les lignes, on peut former les cadres et développer économiquement un pays, mais si les droits d’un peuple ne sont pas garantis par la probité morale des officiers supérieurs de l’armée et de la police, personne ne sera jamais en sécurité.
Le sens de la justice, l’intégrité et de l’équité s’étiole. Puisque du point de vue idéologique tous les régimes politiques finissent par faire accepter à ses élites, l’inacceptable. Ainsi, on avait fini par considérer les Batutsi comme des étrangers ou les citoyens de seconde zone sous les régimes de Kayibanda et Habyarimana. Et la vie continuait comme si de rien n’était. Car du point de vue des idées, on peut tout prouver.
Ainsi toutes les justifications philosophiques – majorité/minorité – ou morales – méchanceté des uns/bonté des autres – étaient devenues des poncifs du débat politique au Rwanda postcolonial en lieu et place de la réflexion sur la cité à construire pour tous après l’humiliationcoloniale des peuples africains. Et dans ce projet de l’Afrique indépendante, ces politiques tribalistes et ethniques ayant caractérisé certains pays comme le Rwanda, et que Mwalimu Julius Nyerere qualifiait à la même époque de « ujinga na upumbafu », devraient être dépassées au 21e siècle.
À cet égard, le livre de Nyamwasa est à la fois un livre de témoignage, de réflexion politique sur la renaissance du pays. Un livre à lire absolument.
L’auteur de ce texte, Josias Semujanga est un écrivain rwandais. Il a écrit plusieurs livres qui portent un regard sur les fondements et les causes lointaines du génocide des Tutsi de 1994. Il est Professeur de littérature africaine à l’Université de Montréal.
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