[L’extrait d’un courrier envoyé à France Inter par une femme ayant perdu des membres de sa famille lors du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 est lue à l’antenne par le journaliste Ali Baddou ; cette partie de l’émission ne figure pas dans le replay]
Natacha Polony : Donc, je vais préciser ma pensée. J’aurais dû le faire tout de suite, nous sommes passés à un autre sujet. Et on ne peut pas passer à un autre sujet quand on débat de… ce genre de chose. Donc, je vais expliquer ce que j’ai dit. Il y a eu un génocide, je l’ai dit plusieurs fois la semaine dernière, et je le répète. Il y a eu un génocide absolument monstrueux. Un des grands génocides du XXème siècle : 800 000 personnes sont mortes en… 100 jours, ce qui est effarant ! Et la famille de cette dame en fait partie et c’est pour ça que je veux m’expliquer, vis-à-vis d’elle. Donc, il y a bien eu… Il y a bien des victimes et des bourreaux dans un génocide. Nous sommes bien d’accord et je n’ai jamais prétendu le contraire. Et, je pense qu’il faut expliquer comment cette logique génocidaire s’est mise en place, à travers le…, la propagande du…, de la Radio des Mille Collines, à travers le travail du Hutu Power, bien sûr ! Je parlais d’autres choses. Et je… En fait, je citais, et j’aurais dû le préciser, une phrase qui est de Rony Brauman, que nous recevions il y a deux semaines, et qui écrivait à propos du Rwanda : « De tout temps, les conteurs comme leurs publics ont préféré les histoires où les bons combattent les méchants plutôt que celles où des salauds en affrontent d’autres ». Ce qui est aussi une phrase qui a été dite par Carla Del Ponte, ancien Procureur du Tribunal pénal international sur le Rwanda, et qui ne désigne absolument pas les victimes. Mais qui parle du rôle du FPR face au régime de Juvénal Habyarimana et face, ensuite, au Hutu Power. Le FPR, et c’est Médecins Sans Frontières qui l’a… dit, et qui l’a expliqué, parce qu’ils étaient sur place, a commis des crimes de masse entre 1990 et 1994, en a commis d’autres après. Et…, encore une fois, ça n’a rien à voir avec un génocide et ça n’est pas à mettre sur le même plan. Il y a une différence entre une logique génocidaire et des massacres de masse, des crimes de guerre. Voilà, ce n’est pas pareil !
Ali Baddou : D’autant que c’est Paul Kagame, et le FPR, qui ont mis fin au génocide.
Natacha Polony : Voilà, qui ont mis fin… Ils ont mis fin au génocide. Ce que je voulais dire, pour autant, c’est que ce n’est pas parce qu’ils ont mis fin au génocide que Paul Kagame et ses troupes sont des saints, et qu’ils sont des gens biens. Voilà ce que j’ai voulu dire. Je suis profondément attristé que ça ait pu être mal interprété.
Je précise, d’ailleurs, que le rôle de la France là-dedans doit être explicité jusqu’au bout, et comme je l’ai dit la semaine dernière, il faut ouvrir les archives dans leur totalité. Voilà, mais je précise ma pensée. Et, bien entendu, j’ai une pensée profonde pour toutes les victimes et pour les familles des victimes qui, en effet, ont pu être blessées par ce que j’ai dit.
Ali Baddou : C’était important de vous entendre Natacha. Pour ma part, c’est vrai que je ne suis pas intervenu la semaine dernière. Mais qu’il me soit permis d’évoquer un souvenir personnel : c’était celui d’un voyage au Rwanda, à l’occasion de la commémoration du quinzième anniversaire du génocide, et c’est un moment qui a marqué ma vie, qui a changé ma vision du monde. Comme pour vous, Raphaël, à l’occasion d’un autre voyage. Et nous avons eu l’occasion d’en parler. Pour en finir avec toute ambiguïté, il suffit de penser à 1942 et de remplacer « Tutsi » par « Juif » pour comprendre ce qui s’est passé en 1994 au Rwanda.
Raphaël Glucksmann : Mais c’est… J’entends complètement l’émotion de Natacha Polony et le fait qu’elle n’est pas négationniste. C’était ça qu’il fallait dire. Et oui, ça a changé mon existence. Vous savez, ça fait 20 ans que je suis bouleversé par cette histoire et j’ai travaillé dessus pendant de longues années. Et il y a un problème, en France, dans la manière dont on évoque, et la guerre, et le génocide. Vous avez fait l’effort intellectuel de dire : remplacez le mot « Tutsi » par « Juif ». J’aimerais que les commentateurs et les gens qui parlent du génocide au Rwanda fassent cet effort, qu’ils fassent autant attention à leurs mots quand il s’agit du génocide des Tutsi que quand il s’agit de la Shoah. Et enfin, et c’est mon désaccord, et alors là, c’est un désaccord sur…, et notamment avec Rony Brauman, parce qu’il était question de lui. Le FPR était, et quand bien même c’est un régime non démocratique…
Ali Baddou : Le Front patriotique rwandais.
Raphaël Glucksmann : Le Front patriotique rwandais était la seule force qui s’opposait, sur le terrain, au génocide. Et par conséquent, c’est l’équivalent… Et vous savez, les Soviétiques, quand ils libèrent Berlin, ou les alliés, quand ils bombardent Tokyo, font des crimes. Et…, en même temps, il ne viendrait à l’idée de personne de dire que la Deuxième Guerre mondiale est une affaire…, d’égalité dans le crime. Et donc, ce n’est pas ce que vous avez dit aujourd’hui, mais c’est ce qu’on entend souvent. Et moi…, ce qui m’importe…, c’est de toujours comprendre qu’on parle de…, d’un génocide, d’une extermination ! Et qu’il n’y en a eu que trois, en fait, au XXème siècle, selon l’ONU. Et que, donc, on doit avoir la même religiosité, la même sacralité quand on aborde ce sujet que quand on aborde la Shoah. Et c’est un appel, une requête, une supplication à l’ensemble des médias parce que ce n’est pas la première fois que ça arrive. C’est…, vraiment extrêmement important, non seulement pour les rescapés, mais d’autant plus pour les médias français parce que la France a cette histoire au Rwanda. Et que donc, on doit faire encore plus attention à ce qu’on dit.
Ali Baddou : Natacha.
Natacha Polony : Juste pour préciser que, en effet, il…, on ne peut pas, et je l’ai dit tout à l’heure, mettre sur le même plan un génocide et des massacres, même de masse, parce que la logique n’est pas la même. Et, d’ailleurs, c’est ce que dit Rony Brauman dans le texte que j’ai cité et qu’on peut lire…, qu’on peut trouver…, il était publié dans Marianne. Et je pense que c’est…, il ne faut…, il ne faut pas mettre sur le même plan. Mais il faut, en revanche, regarder l’histoire pour continuer à penser ce qui se passe dans ce pays, à le penser…, à penser ce qui se passe aujourd’hui. Et ça n’empêche pas de regarder la spécificité d’un génocide.
Ali Baddou : Merci à tous les deux. Et c’était important également, donc, d’y revenir avec tous les deux.
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