2024 marque la 30e année où Georgette Mukantwari, résidente de Kigali, détient son permis de conduire des véhicules de transport de passagers. C’est également la 23e année qu’elle exerce le métier de chauffeure de taxi.
C’est un travail qui lui a permis d’accéder à une véritable indépendance financière, bien que la route n’ait pas toujours été facile. Mais elle continue de démontrer que le labeur quotidien est la clé de la réussite.
Mukantwari, âgée de 62 ans, est mère de trois enfants, dont un est malheureusement décédé. Elle a élevé seule ses deux autres enfants pour des raisons qu’elle préfère taire.
Titulaire d’un niveau scolaire équivalent au tronc commun, elle a d’abord tenté diverses activités comme tant d’autres, passant du petit commerce de rue à la gestion d’une échoppe de produits variés, mais sans grand succès.
Lors d’un entretien approfondi qu’elle nous a accordé alors qu’elle était au volant dans les rues de Kigali, elle a expliqué qu’après ces échecs, elle a décidé de changer de voie et de s’orienter vers un métier encore peu exercé par les femmes dans la société : devenir chauffeure de taxi.
À cette époque, c’étaient des paroles courantes que d’entendre dire qu’une femme au volant était une aberration, qu’elle ne pouvait pas conduire un véhicule, et que la place d’une femme se limitait aux tâches ménagères et familiales, l’épanouissement professionnel étant un concept difficile à concevoir.
"J’étais désespérée mais consciente que le métier de chauffeur de taxi était plus lucratif que mes activités précédentes. Comme j’avais déjà le permis de conduire, je n’ai pas prêté attention aux critiques et j’ai saisi cette opportunité pour gagner de l’argent", explique-t-elle.
Alors que la plupart des jeunes rêvent de devenir médecin, militaire, juge ou d’embrasser d’autres carrières valorisantes, Mukantwari elle, a grandi avec l’idée de devenir conductrice, un objectif qui semblait aussi lointain que la lune à l’époque.
"Ils me prenaient pour un incapable"
Elle ressentait que sa vocation serait de conduire les autres. "Autrefois, lorsque vous conduisiez quelqu’un, vous le déposiez à destination et gardiez sa voiture, les gens pensaient qu’elle vous appartenait. Posséder une voiture était un rêve pour moi."
La première voiture qu’elle a acquise en 2003 lui a coûté près de 1000 dollars. Elle a vendu certains de ses biens, et a même contracté un prêt bancaire, malgré les taux d’intérêt élevés de l’époque. Mais jour après jour, elle progressait.
Partout où cette mère de famille passait, on la raillait et la méprisait, certains allant jusqu’à l’intimider, au point qu’on hésitait à lui demander ce qu’elle faisait, de peur d’attirer plus de moqueries.
"J’avais aussi peur, confie-t-elle. Tout le monde me prenait pour un homme alors que ce n’était pas le cas. D’autres disaient que j’étais inapte. Parfois, j’avais honte de ce que je faisais, mais comme j’avais besoin d’argent et que mes enfants devaient bien étudier, je puisais la force de l’assumer."
"Dieu a béni le travail de mes mains"
Au-delà des moqueries du public, certains hommes du métier ne l’épargnaient pas non plus. Ils la traitaient avec condescendance, et lorsqu’un client demandait un chauffeur masculin, ils l’écartaient délibérément pour prendre la course.
"J’ai dû puiser beaucoup de force pour ne pas me laisser décourager et offrir un service impeccable aux clients. Je devais garder mon calme et ma dignité quoi qu’il arrive", raconte-t-elle.
Affronter les attitudes machistes de ses collègues, ignorer ceux qui la jugeaient inapte, travailler par tous les temps, sous le soleil brûlant ou la pluie battante, Mukantwari affirme que Dieu a fini par bénir le fruit de ses efforts.
Cette mère de famille qui ne se sépare jamais de sa Bible déclare aujourd’hui vivre dans l’aisance, pouvant même s’offrir des appareils électroménagers qui facilitent ses tâches à la maison comme la lessive et autres.
Elle en est venue à vouloir créer une coopérative de femmes conductrices de taxi. À l’époque, le projet nécessitait un minimum de sept voitures.
Elle est allée en acheter à l’étranger, mais à son retour, malheureusement, la réglementation avait changé, exigeant désormais 15 véhicules pour fonder une telle entreprise.
Cette nouvelle législation, couplée aux perceptions négatives entourant le travail des femmes dans ce secteur, ont fait avorter son idée.
"J’ai dû tout revendre, déplore-t-elle. J’avais déjà investi beaucoup d’argent, mais le manque de personnel qualifié pour conduire les véhicules posait problème.
Aujourd’hui, j’ai mon taxi personnel et j’en ai donné un autre à une femme que j’ai formée. Peut-être que je pourrai l’aider à démarrer cette coopérative un jour."
Leçons pour les femmes et les mères célibataires
Comme nous sommes dans le mois dédié à la promotion de l’égalité des genres, Mukantwari met en lumière les raisons pour lesquelles les femmes se voient souvent privées d’opportunités de démontrer leurs compétences et leur potentiel.
En tant que femme résiliente, lorsqu’elle sillonne les rues de Kigali au volant de son taxi, elle encourage ses consœurs à considérer leurs revenus comme un premier pas vers l’indépendance financière. Elles doivent les investir judicieusement pour en générer davantage, tout en gardant à l’esprit qu’aucun travail n’est hors de leur portée.
"Leur problème est de penser que certains métiers sont réservés aux hommes, ce qui les freine. Pourtant, avec les connaissances, l’intelligence et la force d’une femme, ce qui leur manque parfois c’est simplement l’audace de se lancer. Si elles exploitaient pleinement leur potentiel, elles écriraient une bien meilleure histoire que celle d’aujourd’hui", affirme-t-elle.
Des leçons de résilience pour les jeunes filles
Pour les jeunes filles, et particulièrement celles qui auraient pu traverser des épreuves ébranlant leur confiance, Mukantwari montre que ces périodes sombres devraient au contraire les pousser à se battre pour s’en sortir.
Être assidue, avoir la foi, dire la vérité, aimer son travail, faire preuve de persévérance et éviter la paresse sont selon elle les clés de la réussite. C’est en suivant ces préceptes qu’elle a pu réaliser ses rêves sans entrave.
Cette mère s’est donné trois années supplémentaires, soit jusqu’à 65 ans, avant d’arrêter de conduire des taxis. Cependant, elle affirme ne pas avoir l’intention de cesser toute activité professionnelle.
Son nouvel objectif est d’épargner suffisamment pour pouvoir investir dans une entreprise qui lui permettra de subvenir à ses besoins une fois à la retraite, tout en continuant à servir d’inspiration aux femmes souhaitant s’émanciper financièrement.
Elle envisage de léguer une coopérative de femmes conductrices, afin que son héritage perdure même après son départ.
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