En levant l’immunité du président honoraire Joseph Kabila, sénateur à vie, sans l’ombre d’un débat digne de ce nom, la chambre haute n’a pas seulement cédé à la pression elle a signé un acte d’abdication éthique.
Il ne s’agit nullement ici de plaider pour l’impunité. La justice, si elle est saisie en toute indépendance, a le droit d’interroger les plus hautes autorités dès lors que des soupçons de crimes aussi graves que la trahison ou les crimes de guerre sont invoqués. Mais lorsque l’instance censée représenter la sagesse et la retenue institutionnelle se transforme en simple chambre d’enregistrement, muette et aux ordres, il ne s’agit plus de justice, mais d’une farce judiciaire éloignée de toute légalité.
Le Sénat, à qui l’on prête des vertus de modération, de tempérance, et de lucidité historique, a tourné le dos à son rôle fondamental : celui d’un organe de contrepoids, de retenue face aux emballements de l’instant. Aucun sénateur, n’a osé hausser la voix, ne fût-ce que pour interroger la solidité juridique du rapport Lutundula ou la probité du réquisitoire monté de toutes pièces par un auditeur général notoirement inféodé aux caprices du prince. Pas une voix ne s’est élevée pour interroger les éléments factuels, du reste inexistants, pour demander des clarifications, pour défendre ce qui aurait pu encore ressembler à une dignité parlementaire.
Et pourtant, combien parmi ces honorables avaient-ils refusé autrefois de lever l’immunité de Jean-Pierre Bemba, alors même qu’il croupissait depuis des années dans une geôle de la CPI ? Combien parmi eux avaient, sous la présidence de ce même Joseph Kabila, plaidé pour le respect du statut sénatorial au nom de la souveraineté nationale ? L’inconséquence de leur silence aujourd’hui révèle une faillite non seulement politique mais aussi mémorielle.
Certains diront que la peur a scellé les lèvres, que la menace a tordu les consciences. Cela est sans doute vrai. Le chantage, la coercition et les promesses de faveurs ou de prébendes ont très probablement pesé sur ce vote à bulletin secret. Mais le secret du vote ne saurait absoudre le crime du silence. Car il est des moments où il faut parler, fût-ce pour perdre. Il est des heures où il faut résister, fût-ce dans l’isolement. Et ce fut précisément l’heure que les sénateurs de la République démocratique du Congo ont laissé passer, en courbant l’échine, en se taisant.
Oui, il faut oser le dire : ce qui s’est joué ce jour-là n’est pas une victoire de la justice, mais une victoire de l’arbitraire. Ce n’est pas la transparence, mais l’opacité qui a triomphé. Ce n’est pas la vérité, mais la vengeance qui a dicté l’agenda.
Dans cette affaire, comme dans d’autres qui l’ont précédée ou qui suivront, le temps sera juge. L’histoire, elle, retiendra non pas les gestes de ceux qui ont dénoncé, mais les silences de ceux qui, ayant le pouvoir de questionner, ont préféré se taire. Ces sénateurs, censés incarner la hauteur républicaine, auront cédé aux injonctions d’un pouvoir qui ne tolère ni la nuance, ni le doute, ni la contradiction.
À ceux-là, Thomas Jefferson avait déjà adressé son verdict : « Ceux qui renoncent à leur liberté essentielle pour acquérir une sécurité temporaire ne méritent ni liberté ni sécurité. »
Et le Sénat, ce jour-là, n’a mérité ni l’un ni l’autre. Mais la honte, elle, demeure. Indélébile.

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