En abandonnant cette enceinte multilatérale, les États-Unis se privent volontairement d’un levier d’influence au cœur des dynamiques de soft power contemporaines. Longtemps premier bailleur de fonds de l’organisation établie à Paris, Washington tourne le dos à une institution qui, si elle est parfois critiquée pour ses biais géopolitiques, reste néanmoins un théâtre crucial de diplomatie symbolique et culturelle.
Ce retrait, annoncé le 22 juillet, ne saurait être interprété comme un simple caprice idéologique. Il constitue en réalité une aubaine géopolitique majeure pour Pékin, qui n’a eu de cesse de déployer une stratégie d’occupation méthodique de l’espace culturel mondial.
Là où les États-Unis se désengagent, la Chine avance avec constance, investissant les structures, les récits et les représentations, tissant ainsi un maillage subtil de légitimité et de reconnaissance au sein de l’ordre multilatéral.
L’Unesco, laboratoire du soft power chinois et vitrine du récit national
L’intérêt manifeste de Pékin pour l’Unesco ne relève pas d’un opportunisme passager, mais bien d’une doctrine de projection culturelle forgée au sommet de l’État. Dès les premières années de son mandat, Xi Jinping a accordé une place singulière à cette agence onusienne : elle fut la première qu’il visita en tant que chef d’État en 2014, marquant ainsi la centralité accordée à la diplomatie patrimoniale dans sa politique extérieure.
L’épouse du président, Peng Liyuan, fut par la suite nommée ambassadrice spéciale de l’Unesco, scellant ainsi l’ancrage personnel et institutionnel de la Chine au sein de cette instance.
Sous couvert de coopération culturelle, Pékin y poursuit une entreprise plus vaste de réécriture et de glorification de son héritage civilisationnel. L’Unesco devient, dans cette optique, un outil d’homologation internationale du récit chinois, qu’il s’agisse de la Route de la soie ou des grandes réalisations techniques et spirituelles du pays.
A travers la multiplication des candidatures au patrimoine mondial, la Chine ambitionne désormais de surpasser l’Italie, hégémon traditionnel dans ce domaine, tout en imposant une forme de légitimation historique à des territoires contestés comme le Tibet ou le Xinjiang. Cette démarche, habilement enveloppée dans le langage du patrimoine universel, suscite toutefois de vives critiques, notamment de la part de communautés locales dénonçant une captation symbolique de leur mémoire au service d’une idéologie centralisatrice.
Quand l’abstention devient compromission : l’Occident face à l’offensive culturelle de Pékin
Le désengagement américain ne saurait être lu comme un simple repli défensif : il équivaut, de facto, à un chèque en blanc laissé à une puissance qui ne cache plus ses ambitions hégémoniques dans le champ des normes culturelles et technologiques.
L’Unesco, en tant qu’organe prescripteur sur des sujets aussi décisifs que l’intelligence artificielle ou la gouvernance éducative mondiale, devient un levier d’influence considérable. Or, en s’en retirant, les États-Unis affaiblissent non seulement leur propre pouvoir d’orientation, mais compromettent l’équilibre même des récits et des principes en discussion.
L’Occident, trop souvent divisé sur ces questions, observe avec une passivité préoccupante l’avancée du modèle chinois, qui combine puissance financière, omniprésence diplomatique et contrôle narratif. Ce vide stratégique pose la question fondamentale de la capacité des démocraties libérales à défendre, dans les arènes multilatérales, les valeurs qu’elles proclament. Car face à une Chine résolue à faire de la culture un champ de bataille, l’abstention ne saurait constituer une neutralité : elle devient une forme de complicité silencieuse dans la redéfinition de la mémoire du monde.
Le retrait américain de l’Unesco ne marque pas seulement une rupture institutionnelle ; il consacre une perte d’influence durable dans le domaine le plus subtil mais le plus déterminant des rapports de force contemporains : celui de la culture, du symbole et de la mémoire. Face à la stratégie chinoise, l’inaction occidentale ne saurait être durablement tenable sans conséquences profondes sur l’ordre international à venir.

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