Chronique d’une guerre feutrée entre le ministre Mutamba et le procureur général

Redigé par Tite Gatabazi
Le 22 mai 2025 à 04:23

Sous l’apparente solennité des procédures et la rigueur feinte des institutions, se dessine une scène autrement plus troublante  : celle d’un affrontement personnel que dissimule mal le vernis des fonctions. Ce qui devait relever d’un simple acte de reddition de comptes au nom de la transparence administrative semble désormais s’apparenter à une escalade vengeresse, où s’entrelacent ambitions contrariées, ressentiments anciens et stratégies d’éviction

Derrière le décor d’une République soucieuse d’éthique, c’est le théâtre d’un règlement de comptes entre deux rivaux que tout oppose — l’un, procureur chevronné solidement ancré dans les profondeurs du système judiciaire  ; l’autre, jeune ministre porté par une volonté réformatrice affichée mais non dénuée d’arrière-pensées politiques. Cette opposition feutrée, où chaque accusation en appelle une autre, glisse insensiblement d’un contentieux institutionnel à une guerre de position aux accents de tragédie. Ainsi se joue, en creux, la chronique d’une dérive, où les exigences de justice cèdent peu à peu le pas aux dynamiques souterraines de pouvoir, de revanche et de disqualification mutuelle.

«  Tout membre du Gouvernement mis en accusation présente sa démission dans les vingt-quatre heures. Passé ce délai, il est réputé démissionnaire.  »

Cet article de la loi congolaise, d’apparence anodine, acquiert une portée singulière à l’aune de l’affrontement, de plus en plus manifeste, entre deux figures majeures de l’appareil d’État : le ministre de la Justice, Constant Mutamba, et le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde.

En novembre 2024, une onde de choc discrète mais profonde avait traversé les cercles institutionnels de Kinshasa. Dans une déclaration solennelle empreinte d’une gravité calculée, le garde des Sceaux, M. Mutamba, annonçait l’ouverture d’une enquête officielle à l’encontre du procureur général.

En cause : l’acquisition par ce dernier d’un immeuble à Bruxelles, pour un montant avoisinant les 900 000 euros révélation dévoilée par le média spécialisé Africa Intelligence. L’affaire, à elle seule, soulevait nombre d’interrogations sur l’opacité des circuits financiers de certains hauts magistrats et la persistance de pratiques dispendieuses en décalage flagrant avec la condition salariale des serviteurs de l’État.

Firmin Mvonde, réputé pour sa longévité dans les arcanes de la magistrature et son verbe parfois tranchant, lui qui avait qualifié en février la mort de l’ancien ministre Chérubin Okende de «  suicide  », contre l’avis d’une large partie de l’opinion publique, se retrouva ainsi projeté au cœur d’un tourbillon politico-judiciaire à fort potentiel explosif.

Le geste de Mutamba, sous couvert d’assainissement moral, s’apparentait en réalité à une mise en garde, sinon à un acte d’hostilité voilée.

Or, loin de céder à l’intimidation ou de se retrancher dans un silence prudent, le haut magistrat choisit, au mois de mai 2025, la riposte : en sollicitant l’autorisation de poursuites judiciaires à l’encontre du ministre Mutamba lui-même, cette fois dans le cadre d’un présumé détournement de fonds publics d’un montant de 39 millions de dollars, Mvonde engage une contre-offensive aux allures de règlement de comptes judiciaire.

Ce bras de fer feutré entre les deux institutions, censées coopérer au nom de la justice républicaine, s’est mué en une guerre d’influence larvée où l’État de droit semble instrumentalisé au gré des ambitions personnelles et des ressentiments accumulés. Sous des dehors procéduriers, se trame une lutte de pouvoir d’autant plus inquiétante qu’elle se déploie dans un climat de défiance généralisée à l’égard des institutions, déjà fragilisées par des scandales à répétition.

Au fond, cette joute silencieuse révèle l’impasse d’un système où la verticalité de l’autorité judiciaire entre en collision avec les ambitions politiques, et où la vertu proclamée sert souvent de paravent aux règlements de comptes. Derrière le langage du droit, c’est la guerre des hommes qui se joue : une guerre froide, feutrée, mais dont les répercussions pourraient s’avérer autrement plus dévastatrices que les simples querelles de palais.

Derrière la solennité des procédures se profile un affrontement personnel, à peine masqué par le vernis institutionnel

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