Jambo ASBL et l’intersection entre religion et extrémisme

Redigé par Tom Ndahiro
Le 30 juin 2025 à 05:24

Dans les années qui ont suivi le génocide contre les Tutsi de 1994, une nouvelle génération de la diaspora rwandaise a émergé, dont certains sont les descendants de personnes impliquées dans le génocide. Parmi ces groupes, Jambo ASBL, basé en Belgique, a acquis une certaine notoriété. Le nom « Jambo », dérivé du mot kinyarwanda signifiant « la Parole », fait référence à l’Évangile de Jean dans le Nouveau Testament.

Dans Jean 1:1-3 et 1:14, il est écrit : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes... La Parole est devenue chair, et elle a habité parmi nous. Nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père, pleine de grâce et de vérité. »

Ce passage, qui parle de la nature divine de Jésus-Christ, a été perverti par les idéologues génocidaires afin de conférer une aura de sainteté et d’inéluctabilité à leurs actions. En utilisant le mot « Jambo », ils cherchaient à assimiler leurs propres paroles et actes à une autorité divine, justifiant ainsi leur idéologie empoisonnée aux yeux de leurs partisans. Ce concept chrétien fondamental souligne la vérité et la mission salvatrice de Jésus-Christ, qui incarne la grâce et la vérité.

Pour les croyants en la foi chrétienne, le terme « La Parole » dans ce contexte évoque la vérité ultime, la révélation divine et le pouvoir transformateur du message de Dieu à l’humanité. Il s’oppose radicalement à toute forme de tromperie ou de fausseté, mettant en lumière les implications morales et éthiques de l’usage des mots et de la communication dans la société.

L’appropriation de «  Jambo  », un terme chargé de connotations positives de dialogue et de compréhension, à des fins incluant la négation du génocide, est profondément troublante. Elle représente une rupture nette avec les idéaux associés à la Parole dans l’Évangile de Jean, qui prône la vérité, la lumière et la vie.

En utilisant «  Jambo  » pour dissimuler sa mission, Jambo ASBL s’engage dans une forme de subversion morale et éthique. Les activités de cette organisation contredisent les principes de vérité et d’illumination symbolisés par la Parole dans l’Évangile de Jean. Plutôt que de promouvoir la compréhension et la réconciliation, la mauvaise utilisation de «  Jambo  » sert à occulter la réalité du génocide, contribuant ainsi à la perpétuation de la division et de la désinformation.

Les mots ont un pouvoir immense. Ils peuvent guérir ou blesser, éclairer ou obscurcir, unir ou diviser. La responsabilité éthique liée à l’usage des mots, surtout dans des contextes de portée historique et de souffrance humaine, ne peut être sous-estimée. L’appropriation de «  La Parole  » par Jambo ASBL souligne la nécessité cruciale de vigilance et d’intégrité dans la manière dont les mots et la communication sont employés.

Dans un monde où les mots peuvent servir à occulter la réalité et à perpétuer le mal, l’utilisation du terme «  Jambo  » par Jambo ASBL illustre une stratégie plus large visant à sanitiser et légitimer leur message de négation du génocide en l’enveloppant dans un manteau de religiosité et d’intellectualisme. En invoquant les Écritures, ils tentent de remodeler le récit du génocide, semant le doute sur le fait historique établi et cherchant à disculper leurs prédécesseurs — Kangura et RTLM.

Le tissu religieux du Rwanda et l’attrait de Kangura

Dans les années précédant le génocide contre les Tutsi de 1994, les politiciens extrémistes hutus et leur publication Kangura ont joué un rôle central dans la diffusion d’une idéologie haineuse. L’une des stratégies les plus persuasives de Kangura fut la manipulation du langage religieux, qui trouvait un écho profond auprès de la population rwandaise majoritairement chrétienne. En cadrant son message toxique en termes de volonté divine et de devoir religieux, Kangura rendait difficile pour les Rwandais ordinaires de résister ou de remettre en question les appels à la violence, rendant ainsi beaucoup complices des atrocités. Il est important d’examiner comment Kangura a utilisé des images religieuses et des versets bibliques, notamment sur le thème de l’unité, pour promouvoir l’extrémisme hutu et la haine des Tutsi.

La religion a toujours été au cœur de la vie rwandaise, avec une écrasante majorité de la population s’identifiant comme chrétienne — principalement catholique et protestante. Cela rendait les références bibliques et le langage religieux particulièrement influents. Des versets comme le Psaume 133:1, qui dit : « Voici, oh ! qu’il est agréable, qu’il est doux pour des frères de vivre ensemble ! », et Éphésiens 4:3 : « Efforcez-vous de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix », étaient largement connus des Rwandais et souvent invoqués dans les églises. Kangura a habilement déformé ces versets pour assimiler l’unité hutue à la droiture morale et à la survie, tout en diabolisant les Tutsi comme ennemis du peuple de Dieu.

Par exemple, le numéro 16 de Kangura, publié en mai 1991, arborait le titre «  Ubumwe bw’Abahutu niyo mizero yabo  » (L’unité des Hutu est leur seul espoir). L’article affirmait que la seule manière pour les Hutu de se protéger d’une extermination par les Tutsi était la solidarité, présentant cela comme un impératif moral. Cette idée d’unité — un principe biblique central — fut instrumentalisée pour semer la peur et la division. Plutôt que de promouvoir la paix et la coopération, Kangura déforma la notion d’unité en un outil d’exclusion ethnique et de justification de la violence.

La sanctification de l’idéologie hutue et la déification du président Habyarimana

Dans l’un de ses pamphlets de propagande les plus infâmes, Kangura publia un ensemble des «  Dix Commandements pour les Hutu  », un document devenu un manifeste de division ethnique et de haine. Le dixième commandement disait : «  La révolution sociale de 1959, le référendum de 1961 et l’idéologie hutue doivent être enseignés à tout Muhutu et à tous les niveaux. Chaque Muhutu doit répandre largement cette idéologie. Nous considérerons comme traître tout Muhutu qui persécutera son frère Muhutu pour avoir lu, diffusé et enseigné cette idéologie.  »

L’invocation explicite de « l’idéologie » hutue comme une doctrine sacrée à diffuser, à l’instar des enseignements religieux, fut particulièrement efficace. La Bible dit : « Prêche la parole, insiste en toute occasion, favorable ou non » (2 Timothée 4:2). Dans Marc 16:15, Jésus dit à ses disciples : « Allez par tout le monde, et prêchez la bonne nouvelle à toute la création ». Et, dans Matthieu 5:16, les chrétiens sont appelés à proclamer Jésus par leurs paroles et leurs actes. De la même manière que les chrétiens sont instruits de répandre l’Évangile, les Hutus étaient exhortés à diffuser le message de la suprématie hutue. Cette version déformée de l’évangélisation sacralisait le nationalisme hutue et légitimait la violence contre quiconque — en particulier les Tutsi — était perçu comme s’opposant à cette idéologie.

Ce commandement inversait directement les versets bibliques qui soulignent la dignité inhérente à tous les êtres humains, quelle que soit leur origine ou leur ethnie. Galates 3:28, par exemple, affirme : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ ». Pourtant, la version de l’unité prônée par Kangura était excluante, promouvant la solidarité hutue uniquement au détriment des Tutsi.

Dans le numéro 25 de Kangura, le président Juvénal Habyarimana était représenté portant une chasuble et une mitre d’évêque, avec le mot «  Ubumwe  » (Unité) inscrit en gros sur la couverture d’un livre censé être une Bible. Cette image délivrait un message puissant : Habyarimana n’était pas seulement le chef politique des Hutu, mais aussi leur guide spirituel. Elle brouillait les frontières entre autorité politique et religieuse, suggérant que s’opposer à Habyarimana — ou à l’idée de l’unité hutue — revenait à désobéir à la volonté divine.

Habyarimana lui-même avait auparavant renforcé cette imagerie religieuse dans ses discours. Lors du Congrès du Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement (MRND) le 28 avril 1991, il évoquait la nécessité de l’unité des Hutu, la présentant comme une défense contre un retour à «  l’esclavage  » — une allusion voilée au pouvoir tutsi. Dans son discours de septembre 1991, il encourageait les partis d’opposition à s’unir contre le FPR, qu’il assimilait aux Tutsi. Ce cadrage positionnait les Tutsi en ennemis des Hutu, invoquant des récits bibliques comme celui de l’Exode, où le peuple élu de Dieu — les Israélites — s’échappait de l’oppression des Égyptiens. Le sous-entendu était clair : tout comme Dieu libéra les Israélites de l’esclavage, les Hutu doivent s’unir pour empêcher leur subjugation par les Tutsi.

La béatification de Habyarimana fut en outre renforcée par les animateurs de la tristement célèbre Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM). Après l’assassinat de Habyarimana en avril 1994, les animateurs de la RTLM, dont Valérie Bemeriki, présentèrent sa mort comme un acte sacrilège, suggérant que la Vierge Marie l’avait déclaré « notre père ». Bemeriki déclara : « Ils ont tué le père sans raison valable, car la Vierge Marie a récemment dit qu’il était en réalité un père, qu’il était notre père, qu’elle l’avait reçu. » Ce cadrage religieux éleva la mort d’Habyarimana au rang de martyre, galvanisant la population hutu à venger sa mort en massacrant les Tutsi.

La prétendue protection divine des Hutu et des Tutsi en tant qu’hérétiques

Kangura décrivait à plusieurs reprises les Hutu comme un groupe divinement choisi, protégé par Dieu contre la menace existentielle que représentaient les Tutsi. Dans le numéro 17 de juin 1991, la une proclamait : « Si ce n’était pas le Dieu du Rwanda qui est toujours vigilant, les Hutu seraient en grand danger. » Ce message présentait la solidarité hutue comme une lutte cosmique, avec une intervention divine les protégeant de leurs ennemis. En invoquant la protection de Dieu, Kangura justifiait la violence contre les Tutsi comme faisant partie d’un plan céleste plus vaste, encourageant la perception que les Tutsi constituaient une menace non seulement pour les Hutu, mais aussi pour la volonté de Dieu.

Cette manipulation religieuse a perverti les enseignements bibliques sur l’amour de Dieu pour toute l’humanité. Matthieu 5:44 ordonne aux chrétiens de «  aimer vos ennemis et prier pour ceux qui vous persécutent  », tandis que Lévitique 19:18 appelle au pardon : «  Ne cherchez pas à vous venger et ne gardez pas rancune contre les membres de votre peuple, mais aimez votre prochain comme vous-mêmes.  » Kangura a ignoré ces enseignements, promouvant à la place de faux ennemis tutsi ainsi qu’une théologie de la haine, de l’exclusion et de la violence.

Kangura a également utilisé un langage religieux pour diaboliser les Tutsi, les présentant comme des hérétiques et des ennemis de la foi. En janvier 1992, le magazine publia une caricature montrant une conversation entre Jésus-Christ, la Vierge Marie et saint Joseph, discutant de la manière dont l’unité hutue pourrait être réalisée. En insérant des figures divines chrétiennes dans le discours politique, Kangura laissait entendre que la lutte contre les Tutsi avait une dimension spirituelle. Les Tutsi n’étaient pas seulement des adversaires politiques, mais des exclus religieux, comparables à ceux qui se rebellèrent contre Dieu dans les récits bibliques.

Cette perversion du langage religieux résonnait chez de nombreux Rwandais, pour qui les enseignements de l’Église étaient au cœur de leur vie. Elle faisait écho au sentiment anti-Tutsi qui couvait depuis des décennies dans la société rwandaise, lui conférant une validation spirituelle. L’implicite était que ne pas s’opposer aux Tutsi revenait à trahir sa foi — un puissant moteur dans une population profondément religieuse.

L’utilisation du langage religieux dans Kangura et d’autres plateformes extrémistes a eu des conséquences dévastatrices. En présentant la violence contre les Tutsi comme un devoir religieux et l’unité hutue comme une volonté divine, Kangura a brouillé les frontières entre foi et politique. Les Rwandais ordinaires, dont beaucoup étaient profondément croyants, ont été entraînés dans la machine génocidaire, croyant accomplir la volonté de Dieu en participant aux atrocités. Le mélange du nationalisme hutue avec un langage religieux par la publication a rendu difficile la résistance à l’appel au génocide pour de nombreux Rwandais, car s’opposer à la violence revenait à s’opposer à leur foi.

Le président Juvénal Habyarimana (R) a été représenté dans le numéro 25 de Kangura portant une chasuble et une mitre d'évêque, tenant un livre ressemblant à une Bible avec le mot « Ubumwe » (Unité) sur la couverture. À gauche se trouve son fils, Jean-Luc Habyarimana, qui est un « défenseur acharné » de l'héritage génocidaire de son père.

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