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L’Art comme moyen de commémoration

Redigé par Karirima A. Ngarambe
Le 8 juillet 2021 à 08:46

Alors que la période de commémoration du génocide des Tutsi du Rwanda arrive à son terme, on peut revenir sur certaines initiatives qui ont permis de rendre un hommage collectif aux disparus, malgré la nécessité d’une distanciation sociale. C’est notamment le cas du projet artistique « 1 Million », lancé par l’artiste rwando-suisse, Gilles Dusabe.

1 million de pas pour 1 million de victimes

Artiste humaniste et engagé, Gilles Dusabe a déjà dans le passé réalisé un certain nombre d’œuvres (installations, photos, vidéos, peintures, sculptures) rendant hommage aux victimes du génocide des Tutsi. Des œuvres conçues pour témoigner de l’horreur vécue par les victimes mais également de la résilience incroyable dont font preuve les survivants depuis 27 ans.

Durant cette période de pandémie mondiale, il a ressenti l’envie de revenir à ses premiers amours d’artiste, à savoir des performances artistiques centrées autour de longues marches introspectives. Ainsi est né le projet « 1 Million ».

A travers cette démarche, l’objectif de Gilles Dusabe était d’effectuer durant 3 mois, une marche d’1 million de pas autour de la Place des Nations à Genève (devant le Palais des Nations Unies). 1 million de pas pour rendre hommage à 1 million de personnes ; hommes, femmes et enfants, qui ont été massacrées durant le génocide de 1994 commis contre les Tutsi

Pour lui, l’idée qu’un million de personnes aient pu être tuées en si peu de temps est juste difficile à appréhender pour le cerveau humain. « Pour moi, effectuer un pas pour chaque vie violemment arrachée, 1 million de pas pour 1 million de personnes, c’était ma manière de participer à la commémoration de la mémoire des victimes. Quand je marchais, je bouclais un tour de la place en 250 pas. A chaque tour de place, je rendais hommage à 250 personnes. Je pense qu’en ces moments-là, j’ai réellement ressenti une vraie connexion avec les victimes », confie l’artiste.

La place de l’Art dans la commémoration du génocide

Juste après le génocide, les cérémonies de commémoration organisées annuellement entre avril et juillet, au Rwanda et dans le monde entier étaient marquées par des témoignages de rescapés, des chants de deuil, des poèmes, des prières et des discours d’officiels.

Comme le souligne César Murangira, Président d’Ibuka-Suisse, c’est petit à petit que l’Art dans sa diversité a été convoquée pour participer à exprimer autrement le souvenir du génocide et à faire vivre le souvenir des victimes tutsies.

« L’Art est un outil d’expression fantastique, qui touche les émotions et qui entre en communion avec nos sens et notre intellect. Autant il nous permet de questionner les mécanismes qui poussent l’homme à commettre l’irréparable ; à savoir l’élimination de son semblable, autant l’Art permet de rendre la dignité aux victimes et participe au processus de guérison des rescapés », continue M. Murangira.

Aujourd’hui, les récits des rescapés s’expriment à travers les littératures diverses, la photographie, les films documentaires ou de fiction mais également à travers les peintures ou encore les pièces de théâtre.

Ces supports sont désormais devenus incontournables dans le processus de sauvegarde de la mémoire du génocide des Tutsi mais ils permettent également d’accompagner les rescapés dans leur chemin de résilience. Beaucoup d’entre eux reconnaissent trouver un certain réconfort dans l’écoute des chansons de deuil et des poésies de circonstance.

Pour César Murangira, l’Art est également très important dans la conservation et la transmission de l’histoire du génocide. « Certaines œuvres artistiques comme les sculptures, les stèles, les plaques commémoratives, la littérature dans son ensemble, les œuvres filmographiques, etc. sont destinées à durer et à toucher les générations futures. De tradition orale, le Rwanda est aujourd’hui entré dans la modernité et nous avons intérêt à mettre l’accent sur l’art numérique, pour pouvoir toucher encore plus de personnes au-delà du Rwanda, aujourd’hui et dans le futur ».

De performance artistique en « happening »

Pour en revenir au projet de Gilles Dusabe, au départ l’artiste avait prévu de le mener en solitaire, durant l’entièreté de la période de commémoration. Néanmoins, au fil des jours, il a reçu un tel soutien de la part de nombreux marcheurs de Genève et d’ailleurs, que son projet est devenu une œuvre collective, réalisée par une communauté de marcheurs rwandais et non rwandais, unis dans un même hommage aux disparus.

Entamée le 10 avril 2021, la marche « 1 Million » a finalement pris fin le 29 mai, grâce aux marcheurs solidaires qui ont rejoint cette marche par petits groupes répartis sur plusieurs jours, marchant ensemble 500.000 pas pour compléter les 500.000 effectués par Gilles Dusabe.

Afin d’immortaliser solennellement le millionième pas, un « happening » a été organisé le samedi 29 mai 2021 à la Place des Nations à Genève. En présence de l’Ambassadeur de la République du Rwanda en Suisse et Représentant Permanent auprès de l’Office des Nations Unies et d’autres Organisations Internationales à Genève Madame Marie Chantal RWAKAZINA, du Président d’Ibuka-Suisse M. César Murangira et du Président de la diaspora rwandaise Suisse M. Yves Cyaka, ce pas ultime a été franchi collectivement par tous ceux qui ont pris part au projet.

D’après Momar Seck, artiste sénégalais résidant et travaillant à Genève, cette transformation d’une performance artistique en « happening » a donné une autre dimension à l’œuvre de Gilles Dusabe .

Selon lui, « le « happening » se distingue de la performance de par son caractère et par le fait qu’il exige une participation active et impliquée du public, qui perd sa posture de spectateur et devient au même titre que l’artiste, un intervenant. Et c’est là où l’artiste nous appelle à nous sentir concernés et acteurs dans notre existence et à développer notre empathie. »

Pour sa part, Gilles Dusabe se réjouit du succès de cette expérience et de l’implication de tous les participants et espère que ce projet continuera à se développer et pourquoi pas un jour une marche commémorative jusqu’à Kigali !


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