L’ONU est un colosse bureaucratique à bout de souffle

Redigé par Tite Gatabazi
Le 3 août 2025 à 12:16

Au crépuscule de ses quatre-vingts années d’existence, l’Organisation des Nations Unies traverse une crise identitaire majeure, minée par une hypertrophie administrative qui entrave sa lisibilité et sa pertinence. Le Secrétaire général, Antonio Guterres, en a récemment livré un aveu saisissant : l’institution est submergée par une accumulation démesurée de rapports et de réunions, au point de frôler la rupture systémique.

Avec plus de 1 100 rapports publiés en 2024, soit une progression de 20 % depuis 1990, et 27 000 réunions animées par près de 240 entités distinctes, le Secrétariat des Nations Unies s’apparente désormais à une machine technocratique dont les productions s’accumulent sans réelle portée.

Dans une déclaration empreinte de gravité, Guterres a souligné que cette prolifération documentaire et procédurale « pousse le système et chacun d’entre nous à ses limites ».

La fabrique du vide : des rapports sans lecteurs, des mandats sans effet

Le constat est d’autant plus accablant que la plupart des documents produits restent lettre morte. Une analyse interne révèle que seuls 5 % des rapports dépassent les 5 500 téléchargements, tandis que 20 % n’atteignent même pas la barre des 1 000. Et encore faut-il préciser que le téléchargement n’implique en rien la lecture, encore moins l’utilisation effective de ces contenus dans les processus décisionnels.

Ce déficit d’impact révèle une crise de finalité : l’ONU, censée impulser des dynamiques de paix et de coopération, s’enlise dans la reproduction formelle de ses propres routines. Les multiples mandats, souvent redondants ou contradictoires, nourrissent une culture de la dilution et de l’inertie, où le contenu cède la place au rituel, et où la production textuelle devient une fin en soi.

Obsolescence et désenchantement : quand le monde s’éloigne de l’ONU

Créée au lendemain du second conflit mondial dans une configuration géopolitique désormais caduque, l’ONU peine à s’adapter à la pluralité du monde contemporain. De 51 membres fondateurs en 1945, l’organisation est passée à 193 États membres, sans que ses mécanismes de gouvernance aient été fondamentalement repensés. Le Conseil de sécurité, toujours figé autour des vainqueurs de 1945, symbolise ce décalage structurel.

Ce déphasage alimente un désenchantement croissant. Nombre de voix, à l’instar de celles de la Russie et de l’Inde, appellent à une réforme en profondeur de l’appareil onusien. Vladimir Poutine, lors d’un sommet des BRICS, a plaidé pour une reconfiguration du Conseil de sécurité plus représentative des réalités géopolitiques actuelles. De son côté, le ministre indien des Affaires étrangères, S. Jaishankar, n’a pas hésité à comparer l’ONU à une « vieille entreprise » incapable de suivre l’évolution du marché mondial, mais continuant à monopoliser l’espace institutionnel.

Les ressorts d’une inefficacité structurelle

Plusieurs facteurs concourent à faire des Nations Unies un appareil souvent jugé lourd, inefficace, voire dépassé : la fragmentation institutionnelle : une multitude d’agences, bureaux, commissions et secrétariats autonomes se chevauchent sans coordination stratégique claire, générant redondances et inerties.

La dépendance aux mandats politiques contradictoires : les résolutions, souvent dictées par des équilibres diplomatiques fragiles, se traduisent en injonctions irréalistes ou irréconciliables.

La prolifération documentaire : l’impératif de produire des rapports, au lieu d’actions concrètes, a progressivement instauré une culture du papier, du suivi sans suite, et de la parole sans acte.
Le manque d’évaluation indépendante : rares sont les dispositifs internes d’audit ou d’impact qui permettent de mesurer l’effectivité des décisions prises.

La résistance au changement des puissances établies : les membres permanents du Conseil de sécurité, garants du statu quo, freinent toute refonte ambitieuse de la structure onusienne.

Ainsi, l’ONU, prise dans ses propres filets bureaucratiques, voit son crédit s’éroder face à un monde multipolaire et en mutation rapide. Tant qu’une réforme audacieuse, incluant une reconfiguration des rapports de force institutionnels et une simplification radicale de ses processus, ne sera pas engagée, l’organisation risque de sombrer dans une forme d’auto-marginalisation silencieuse, à rebours de ses idéaux fondateurs.

À 80 ans, l’ONU traverse une profonde crise identitaire, minée par une lourde bureaucratie qui nuit à sa clarté et à son efficacité

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