L’envers du mythe de Mélenchon l’insoumis

Redigé par Tite Gatabazi
Le 8 mai 2025 à 05:54

Il est des ruptures politiques qui ne se contentent pas d’entériner une divergence stratégique  : elles dévoilent, en creux, les impasses d’une structure, les dysfonctionnements d’un collectif et les dérives d’un imaginaire de pouvoir.

La prise de parole de Clémentine Autain, ce 8 mai, dans le sillage de la parution de La Meute, enquête implacable des journalistes Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde), s’inscrit dans cette catégorie des discours qui, loin du règlement de compte personnel, épousent une portée plus grave : celle d’une mise en accusation des formes autoritaires et virilistes que revêt désormais la praxis politique au sein de La France insoumise (LFI).

Cette parole, longtemps contenue, hésitante, exprimée par touches dans le fil des mois, trouve aujourd’hui une assise plus ferme, plus frontale. Il y a deux ans déjà, le 29 août 2022 sur BFMTV-RMC, Clémentine Autain évoquait les «  limites du gazeux  », cette formule désormais célèbre qui pointait l’absence de structuration démocratique réelle au sein du mouvement.

Mais depuis les législatives de 2024 et les événements désignés, non sans ironie tragique, comme «  la purge  », le désaccord s’est mué en dissidence, la critique en exfiltration, et l’alerte en réquisitoire.

Le témoignage d’Autain s’arrime solidement à la trame de La Meute, ouvrage qui dévoile les coulisses d’un appareil insoumis plus prompt à la dévotion qu’au débat, à l’exclusion qu’à la dialectique. S’y révèle, au fil des pages, un mouvement où la centralité du chef, Jean-Luc Mélenchon, ne souffre aucune contestation, où les voix dissonantes sont marginalisées, congédiées ou humiliées.

Dans cette configuration, les principes de collégialité et de débat argumenté semblent remplacés par une logique de commandement, appuyée sur une rhétorique virile et une stratégie de conflictualité permanente.

«  Ce livre, au fond, il explique pourquoi j’ai rompu  », confie Clémentine Autain. Et d’ajouter, avec une lucidité crue : «  Il n’est pas possible, à l’intérieur de La France insoumise, de ne pas être d’accord.  » À ceux qui lui reprochaient naguère de ne pas s’exprimer dans les instances internes, elle répond par une image cinglante  : «  Mais où est la machine à laver  ?  » Manière de dire l’absence d’instance régénératrice, le manque de mécanismes de délibération où les conflits puissent être purgés sans être pathologisés.

Ce n’est pas là une simple dispute d’appareil. Autain évoque un tournant culturel plus profond, une «  culture de l’intimidation  », une «  culture viriliste  » qui, à ses yeux, peut produire un rendement immédiat en termes de mobilisation ou de visibilité médiatique, mais s’avère, à moyen terme, profondément «  délétère  ».

Et de convoquer l’Histoire, avec le poids de l’exigence que celle-ci fait peser sur les héritiers de l’espérance révolutionnaire  : «  L’espérance communiste s’est fracassée sur la question démocratique.  »

La citation est lourde de sens. Elle rappelle que la tension entre visée émancipatrice et tentation autoritaire n’est pas un accident de parcours mais une faille récurrente des mouvements qui prétendent incarner le peuple sans lui donner voix. En ce sens, la France insoumise ne serait pas l’exception mais la répétition d’un vieux scénario  : celui d’un chef charismatique dont l’emprise finit par étouffer l’invention collective.

L’épisode relaté du 2 février 2024 sur France Info en est un révélateur saisissant. Clémentine Autain y exprimait des réserves sur la stratégie électorale de LFI, pointant un goût immodéré du clash et une absence de solennité dans la conduite des campagnes.

Quelques heures plus tard, Jean-Luc Mélenchon, dans un message à la boucle Telegram des députés insoumis, la cloue au pilori  : «  Le sabotage de Clémentine Autain doit cesser  !  ». Ce genre de sentence, proférée dans un espace semi-public mais vécue comme une condamnation sans appel, signe le triomphe d’une logique de cour et d’allégeance sur celle du contradictoire et du respect mutuel.

L’affaire Autain, en définitive, excède le seul destin personnel d’une parlementaire écartée. Elle éclaire une crise plus vaste, celle de l’autoritarisme rampant qui, sous des oripeaux de radicalité, reconduit les schèmes les plus éculés de la centralisation jacobine et de la verticalité partisane.

LFI se rêvait laboratoire de la VIe République, elle risque de n’être qu’un mirage supplémentaire du pouvoir personnel. C’est cette contradiction que Clémentine Autain vient, avec gravité, nous rappeler. Et c’est à cette question, la plus politique qui soit, que le mouvement devra répondre : peut-on encore être insoumis dans un parti où la dissidence est vécue comme une trahison  ?

Le livre révèle un mouvement centré sur Jean-Luc Mélenchon, où toute voix discordante est écartée ou réduite au silence

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