Les syndicats et les collectifs organisateurs ont avancé le chiffre impressionnant d’un million de participants, tandis que les autorités, dans une estimation plus prudente, évoquaient quelque cinq cent mille protestataires. Quoi qu’il en soit, l’ampleur de cette mobilisation atteste d’une société civile profondément travaillée par l’exaspération sociale et une défiance croissante vis-à-vis des institutions.
Or, comme souvent lors de ces démonstrations de rue, se glisse dans le cortège bigarré des travailleurs, étudiants et retraités, une frange radicalisée, les désormais familiers casseurs qui, à la faveur du tumulte, transforment la protestation civique en théâtre d’affrontements. Cette récurrence des violences parasites brouille le message initial et conforte un pouvoir prompt à discréditer la légitimité du mouvement social. Ainsi se rejoue, presque rituellement, le paradoxe français : un peuple désireux d’exprimer une colère légitime, mais dont la voix est altérée par la fureur destructrice de minorités.
Dans cette atmosphère alourdie par le désenchantement et la lassitude, la France apparaît comme privée de ces grandes consciences tutélaires qui, jadis, surent unir l’exigence de la rigueur intellectuelle à l’élan d’une vision prospective. La figure de l’homme d’État, guidé non par le seul calcul immédiat mais par une conception élevée du bien commun, semble s’être éteinte dans le tumulte d’une politique réduite à l’art du compromis éphémère et de la gestion conjoncturelle.
A l’heure où s’exacerbent les tensions sociales et où se multiplient les fractures de la communauté nationale, l’absence d’une telle stature visionnaire se fait cruellement sentir, laissant la République à la merci d’un désarroi collectif sans horizon.
Plus qu’un déficit d’autorité, c’est un vide de sens qui frappe aujourd’hui la nation : l’absence d’une parole capable de transcender l’instant, de réconcilier la mémoire historique avec l’avenir, et de redonner aux sacrifices présents la dignité d’un dessein plus vaste.
Orphelin de Pierre Mendès France, de Jacques Delors, de Raymond Barre ou même de Lionel Jospin, le pays erre dans un espace politique dévitalisé, où la technocratie a supplanté l’inspiration, et où la gestion s’est substituée à la vision. Ainsi se dessine le paradoxe d’une démocratie encore vibrante dans ses mobilisations, mais dépourvue de guide pour métamorphoser l’énergie contestataire en projet cohérent et rassembleur.
Pierre Mendès France avait su incarner l’austérité éclairée par la probité et le courage de la vérité ; Jacques Delors porta haut une ambition européenne adossée à un projet social audacieux ; Lionel Jospin, quant à lui, malgré ses limites, proposa une vision cohérente et articulée d’un progrès solidaire dans le cadre des contraintes économiques.
Aujourd’hui, l’horizon paraît déserté de telles voix, et le pays, livré aux convulsions cycliques de la rue, semble prisonnier d’un présent sans perspective, où le tumulte remplace le dessein et où la colère supplée l’espérance.

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