Parmi ces vérités, le droit d’inventaire occupe une place singulière, presque sacrilège dans des formations pétries d’héritage et d’attachement au récit des origines. Et pourtant, que vaut une alliance sans mémoire interrogée ? Que pèse une coalition sans relecture du passé ? Toute entreprise politique sérieuse, surtout lorsqu’elle prétend incarner un renouveau, devrait commencer par ce douloureux mais nécessaire exercice : l’examen critique de ce qui fut.
Le droit d’inventaire n’est pas un procès en trahison. Il ne relève ni de la repentance stérile ni de l’iconoclasme primaire. Il est un acte de lucidité, une posture de responsabilité intellectuelle. Il consiste à regarder le passé en face, non pour s’en dissocier dans une posture ingrate, mais pour en extraire les enseignements utiles à l’avenir.
Comme le disait avec une justesse désarmante Lionel Jospin, en référence au bilan mitoyen du mitterrandisme : « Pourquoi n’aurions-nous pas, collectivement, le droit et moi, comme candidat à l’élection présidentielle, le droit d’inventaire ? N’est-ce pas cela, l’attitude de la raison ? »
Cette phrase devrait être gravée au fronton de toute formation politique aspirant à gouverner sans s’abîmer dans le mimétisme ou la nostalgie.
Mais ce droit, pour légitime qu’il soit, est d’une inconfortable exigence. Car il force à déchirer les voiles commodes du déni. Il oblige à reconnaître que l’on s’est parfois fourvoyé, que certaines décisions furent hasardeuses, certains silences coupables.
A force d’immobilisme, à force d’éluder la réalité des faits, à force d’esquiver les défis, bien des pouvoirs se sont lentement vidés de leur substance. L’histoire récente abonde en exemples de majorités figées dans la révérence, incapables de renouveler leur discours sans apparaître comme des parjures.
L’inventaire politique est, par nature, un acte de courage. Il exige une conscience ferme et une liberté de ton rare dans un monde où chacun espère, au mieux, sa place dans les livres d’Histoire, au pire, une note de bas de page qui sauve l’ego.
Toute éraflure sur la statue du chef est perçue comme une offense à la postérité. C’est là l’une des malédictions des régimes fondés sur la sacralisation des figures tutélaires : toute relecture critique y devient transgression.
Et pourtant, sans cette épreuve de vérité, que valent les engagements présents ? Comment parler d’union, d’alliance, de coalition, sans avoir au préalable mis à nu ce que l’on porte en héritage ? Le passé, pour inspirant qu’il soit, peut aussi être lesté de compromissions, d’échecs, d’illusions.
Ne pas les interroger revient à les reconduire tacitement. C’est pourquoi toute démarche d’unité politique sérieuse doit être précédée d’un inventaire : pour s’ausculter sans s’excuser, s’observer sans s’enfermer, faire le bilan sans le déposer aux pieds de l’adversaire.
Cet exercice requiert une rigueur intellectuelle peu commune dans les cénacles contemporains, où la stratégie a souvent pris le pas sur la pensée. Il impose de tenir ensemble le fil de la fidélité et l’aiguille de la réforme. De reconnaître les mérites sans idolâtrer, les fautes sans s’auto-flageller.
Car enfin, l’ambition d’un projet commun, s’il veut être autre chose qu’un pacte de circonstances, doit reposer sur un socle clarifié. A défaut, l’alliance devient connivence, l’unité masque l’inertie, et la promesse politique se dissout dans l’amnésie.
Le droit d’inventaire n’est pas une menace pour les grandes causes ; il en est le garant. Car seules les idées qui acceptent d’être relues, questionnées, éprouvées, peuvent prétendre à la durée. Tout le reste n’est que répétition, liturgie du passé, et illusion de renouveau.

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