Les Mbonyumutwa ou héritiers à la mémoire sélective

Redigé par Tite Gatabazi
Le 4 juin 2025 à 08:26

La duplicité des collabos de seconde génération se manifeste avec une constance troublante dans cette tentative pathétique de reconfigurer l’image de leurs géniteurs, pourtant irrémédiablement frappés du sceau de l’infamie.

Qu’il s’agisse de Habyarimana fils, s’évertuant à euphémiser le rôle tentaculaire de sa mère, Agathe Kanziga, véritable matrice de l’Akazu, cette oligarchie clanique qui orchestrait dans l’ombre la mécanique exterminatrice, ou des petits fils Mbonyumutwa, héritiers embarrassés d’un père dont l’implication au cœur du gouvernement génocidaire de 1994 fut si patente qu’elle motiva le rejet de sa demande d’asile politique en Belgique, tous s’inscrivent dans une même entreprise de falsification mémorielle.

Leur geste, à la fois maladroit et indécent, procède d’un refoulement collectif : celui de l’héritage du crime. Plutôt que de se confronter à la vérité accablante d’une filiation marquée par le sang des innocents, ces héritiers de l’opprobre s’ingénient à substituer à la réalité historique une fiction rédemptrice, travestissant le bourreau en victime, le complice en incompris. C’est là l’ultime outrage fait à la mémoire : non plus seulement le meurtre des corps, mais le viol des faits, la profanation du témoignage, et l’usurpation du récit.

Il est un fait tragique et récurrent de l’Histoire que les enfants de l’infamie, plutôt que de se désolidariser de la souillure léguée, s’évertuent parfois à la travestir, à la reconfigurer dans le langage du déni, de l’oubli organisé ou du relativisme moral. Ainsi en est-il de certains rejetons de la collaboration génocidaire, qui, loin d’assumer le legs accablant de leurs pères, en deviennent les apologètes honteux, maquillant leur hérédité idéologique sous les oripeaux de la réhabilitation et de la réécriture.

Le cas de Shingiro Mbonyumutwa, dont les fils, Gustave et Ruhumuza, figures de proue de l’association JAMBO asbl, s’ingénient à travestir le rôle, constitue une illustration exemplaire de cette pathologie de la mémoire. Car les faits, bien qu’âpres et irréfutables, sont têtus : Shingiro Mbonyumutwa, au plus fort du cataclysme rwandais de 1994, fut bel et bien directeur de cabinet de Jean Kambanda, Premier ministre du gouvernement génocidaire. À ce titre, il fut non seulement un rouage central de l’appareil d’extermination, mais un acteur zélé et conscient de la politique d’anéantissement des Tutsi.

Cette vérité, confirmée sans ambages par la Commission permanente de recours des réfugiés de Belgique dans sa décision du 17 juin 1999, dévoile l’implication directe de Shingiro dans la coordination politique du génocide. L’on y lit noir sur blanc que le requérant "loin de se dissocier de la politique du gouvernement n’a eu de cesse de s’en rapprocher et de le servir à des degrés de responsabilités de plus en plus élevés".

Acceptant sans contrainte les fonctions de directeur de cabinet et de membre d’une commission diplomatique mandatée par un pouvoir criminel, il ne peut être perçu autrement que comme un collaborateur actif du génocide contre les tutsi de 1994.

Or, ce sont précisément ces faits que ses descendants, réfugiés dans la dialectique du négationnisme aseptisé, s’efforcent aujourd’hui de délégitimer, tentant de blanchir un passé que l’Histoire, elle, ne saurait absoudre. L’entreprise est double : il s’agit d’une part de dissimuler les responsabilités de leur père sous les atours d’un révisionnisme feutré ; d’autre part, de redorer le blason d’une idéologie fondatrice qu’ils perpétuent à travers leur activisme associatif.

Mais cette posture n’est pas seulement mensongère ; elle relève aussi d’un mécanisme psychologique bien connu des héritiers du déshonneur : la honte transfigurée en orgueil, l’aveu impossible converti en sursaut identitaire. Car la culpabilité de sang, lorsqu’elle n’est ni reconnue ni expiée, se mue souvent en défense pathologique, en narration inversée.

Le descendant du collabo, incapable de rompre avec l’ombre fondatrice du père, se construit dans une dialectique d’autojustification. Il devient le gardien d’une mémoire falsifiée, s’érige en victime d’une supposée persécution mémorielle, et renverse les rôles : le bourreau devient héros incompris, le tribunal historique est qualifié d’injustice contemporaine.

À cet égard, la figure du "collabo ordinaire", telle que décrite par la presse belge à propos de Shingiro Mbonyumutwa, trouve un écho inquiétant dans la banalité du mal telle que l’avait formulée Hannah Arendt : il ne s’agit pas de monstres spectaculaires, mais d’individus insérés dans les rouages administratifs d’un État devenu criminel, qui mettent leur compétence, leur entregent et leur patronyme au service de la barbarie.

Or, que dire lorsque ces figures ternies ne sont pas simplement condamnées à l’oubli, mais au contraire glorifiées par leur descendance ? Cette volonté de transmutation de l’opprobre en fierté, cette tentative obstinée d’absoudre la trahison historique, révèle une incapacité profonde à penser la honte, à porter le deuil de ce qui fut. Elle traduit une forme d’indigence morale : l’incapacité à reconnaître l’irréparable, et à refuser que le sang innocent se dissolve dans les sables mouvants de l’amnésie volontaire.

Aussi, face à ces tentatives de falsification, la vigilance historique s’impose avec une impérieuse rigueur. Car nier ou minimiser les fonctions qu’assumèrent les complices du génocide, c’est non seulement insulter la mémoire des victimes, mais préparer les conditions d’une répétition possible.
L’histoire des collabos de Vichy nous l’enseigne : lorsqu’ils ne furent pas punis, ils prospérèrent dans le silence ou l’exil ; leurs enfants, parfois, les défendirent en inversant les responsabilités, et en maquillant l’indéfendable.

Il nous revient alors, collectivement, de maintenir vive la mémoire des faits, d’enseigner la précision des responsabilités et de rappeler que le crime contre l’humanité n’admet ni zones grises ni justifications a posteriori. Le collaborateur est celui qui, par choix ou par intérêt, s’est mis au service du mal. Celui qui, aujourd’hui, le nie ou le glorifie, en est le prolongement.

La duplicité des collabos de seconde génération persiste, cherchant vainement à réhabiliter l’image de leurs parents, marqués par l’infamie

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