Urgent

A Kinshasa un décès suspect et des questions lancinantes

Redigé par Tite Gatabazi
Le 30 juillet 2025 à 05:07

A qui profite le crime ? Voilà la question lancinante qui hante les esprits et dont la seule évocation suffit à dévoiler les arrière-cours obscures du pouvoir. Car il est de ces crimes dont la brutalité n’est égalée que par leur silence méthodiquement entretenu, et dont la fonction excède largement la simple mise à mort : ils instaurent une terreur diffuse, un message implicite adressé à ceux qui oseraient franchir les lignes rouges de l’indicible.

L’élimination du Professeur Alidor Kahisha Munemeka, homme de rigueur et mémoire vive d’un ministère à la croisée de toutes les tensions, ne saurait être réduite à une contingence fatale. Elle semble au contraire s’inscrire dans une stratégie de neutralisation ciblée, visant à éteindre une voix informée, à déstabiliser un noyau d’influence, à dissuader toute velléité de résistance.

Il faut donc chercher, derrière cette funeste disparition, les bénéficiaires indirects du silence imposé, les architectes de l’invisibilité, ceux que la vérité dérange ou menace. Qu’il s’agisse de clans rivaux, d’appareils sécuritaires infiltrés, ou d’intérêts politico-économiques hostiles à l’ancien ministre Mutamba, le crime semble n’avoir pas été commis pour lui-même, mais pour servir une logique de contrôle, d’effacement, et d’intimidation systémique.

Ainsi posée, la question n’est pas tant judiciaire que politique, et sa réponse, fût-elle voilée, désigne implacablement les forces qui, dans l’ombre, orchestrent la peur comme instrument de gouvernance.

Kinshasa s’éveille une fois de plus sous le voile épais du soupçon et du scandale. Ce mardi 29 juillet, la capitale congolaise a été secouée par l’annonce du décès du Professeur Alidor Kahisha Munemeka, directeur de cabinet de l’ancien ministre de la Justice, Constant Mutamba, dans des circonstances que d’aucuns qualifient déjà de troubles, voire de sinistrement orchestrées.
Plusieurs sources concordantes, proches du cabinet Mutamba, font état d’un empoisonnement délibéré, hypothèse que relaient avec insistance plusieurs journalistes de l’entourage immédiat de l’ancien ministre.

Ce drame n’intervient pas en terrain vierge. Il s’inscrit dans un continuum de menaces, d’intimidations et de tentatives d’atteinte à l’intégrité physique ayant ciblé l’ex-ministre Mutamba et son entourage. L’on se souviendra qu’en septembre 2024, le ministère de la Justice, alors sous la responsabilité de ce dernier, fut le théâtre d’une tentative d’empoisonnement présumée d’une ampleur inquiétante.

Des substances toxiques une poudre blanche non identifiée, un liquide suspect découvert dans un réfrigérateur, et même une intoxication volontaire des toilettes par gaz irritants avaient alors été mises au jour, révélant une volonté manifeste d’atteinte à la vie. Le ministre lui-même, ainsi que plusieurs membres de son cabinet, avaient été diagnostiqués positifs à des agents toxiques. Ces faits, d’une gravité rare, avaient contraint les autorités à ordonner l’évacuation de Mutamba à l’étranger afin qu’il y reçoive des soins spécialisés.

Dans cette affaire, la succession des événements, leur nature ciblée, et la répétition des méthodes appellent une question incontournable : à qui profite le crime ?

Le décès du Professeur Kahisha Munemeka, intellectuel respecté et collaborateur de l’ombre, ne saurait être interprété comme une simple coïncidence ou une tragédie isolée. Il s’agit là du chaînon manquant d’un puzzle politique et judiciaire de plus en plus macabre, dans lequel le silence devient une arme, et la vérité, une cible mouvante.

Nombreux sont ceux qui voient, dans l’acharnement contre l’ancien ministre, la manifestation d’une stratégie d’élimination politique, déguisée sous le manteau de la fatalité. Mutamba, figure controversée, avait récemment pris des positions tranchées sur des dossiers hautement sensibles, allant de la réforme judiciaire aux dénonciations des dérives de l’appareil sécuritaire. Son cabinet, par la voix de collaborateurs comme le professeur Kahisha, s’était imposé comme un contre-pouvoir technique et intellectuel, capable d’entraver certaines ambitions souterraines ou d’exposer des circuits opaques de prédation au sein de l’appareil d’État.

Il est donc légitime de s’interroger : l’homme de cabinet qu’était le professeur Kahisha a-t-il su ou vu ce qu’il ne fallait pas ? Était-il détenteur d’informations compromettantes ou simplement victime collatérale d’un acharnement dont la cible principale reste Constant Mutamba ? Ou, à rebours, son élimination s’inscrit-elle dans une logique de dissuasion, un avertissement silencieux mais brutal à tous ceux qui gravitent autour de figures perçues comme dérangeantes ?

La République Démocratique du Congo, minée par les luttes intestines, les règlements de comptes feutrés et les duplications de pouvoir informel, semble replonger dans les abysses d’une raison d’État obscure, où le crime se pare des atours de l’opportunité politique.

Les autorités ont certes promis l’ouverture d’une enquête. Mais dans un pays où l’inertie judiciaire et les pressions politiques étouffent systématiquement les velléités de vérité, cette annonce suscite davantage de scepticisme que d’espérance. Si justice devait être faite, encore faudrait-il qu’elle échappe aux interférences, qu’elle ose remonter les chaînes de commandement, qu’elle nomme les auteurs comme les commanditaires.

En l’état, le décès d’Alidor Kahisha Munemeka s’ajoute à la longue liste des morts suspectes dans les couloirs du pouvoir congolais. Il est urgent que la société civile, les milieux académiques, les juristes, et les médias indépendants se mobilisent pour exiger la lumière. Car laisser ce crime impuni, c’est non seulement trahir la mémoire du disparu, mais ouvrir un boulevard à l’impunité et à la terreur politique.

L’histoire jugera, mais la vérité, elle, ne s’écrira pas d’elle-même.

L’élimination du Pr Alidor Kahisha, mémoire vive d’un ministère sensible, ne saurait relever d’un simple hasard

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