Les guerres privatisées de Tshisekedi

Redigé par Tite Gatabazi
Le 16 mai 2025 à 10:49

On les apercevait à chaque coin de rue de Goma, dans l’ombre feutrée des hôtels de standing, ou exhibant leur arrogance dans les bars et restaurants prisés de l’élite locale. Silhouettes pâles et musculeuses, bardées d’équipements dernier cri, ces hommes venus d’ailleurs, Biélorusses, Bulgares, Roumains ou encore vétérans d’obscures sociétés militaires occidentales, n’étaient ni touristes, ni humanitaires. C’étaient des mercenaires.

Des soldats sans patrie, au service du plus offrant, déployés aujourd’hui au cœur d’un des conflits les plus tragiques et les plus oubliés de notre époque : celui du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo.

Que sont-ils venus faire dans cette terre ravagée par les convoitises, les fractures ethniques et l’indigence d’un État défaillant ? A cette question, l’on ne peut répondre qu’en soulignant la faillite morale et juridique d’un pouvoir congolais qui, incapable de réformer une armée corrompue et désorganisée, a choisi de privatiser sa souveraineté, au mépris des conventions internationales qui proscrivent explicitement le recours au mercenariat.

Car il ne s’agit plus de soutien logistique ou de coopération ponctuelle : ces sociétés militaires privées, véritable résurgence contemporaine des « chiens de guerre » du siècle dernier, ont désormais pris pied dans la chaîne de commandement elle-même. On les a vus escorter l’ancien seigneur de guerre et ministre de la Défense Jean-Pierre Bemba lors de sa visite dans le Nord-Kivu, puis s’immiscer dans les dispositifs sécuritaires les plus sensibles, jusqu’à l’entourage immédiat du président Félix Tshisekedi.

Une armée de l’ombre au service d’un régime qui semble préférer le vacarme des armes à la voie ténue mais nécessaire du dialogue.

Or, ces mercenaires au pedigree tapageur, bardés de décorations occidentales et prétendument aguerris par les théâtres de guerre du Moyen-Orient ou des Balkans, ont mordu la poussière face à une jeunesse congolaise insurgée, animée non par l’appât du gain mais par la brûlure de la dignité bafouée et l’âpre nécessité de survivre.

Sur les crêtes escarpées du Nord-Kivu comme dans les vallées meurtries de Rutshuru, Masisi, Kalehe, ces jeunes combattants, issus du terreau d’un peuple humilié mais non soumis, ont opposé une résistance d’une redoutable efficacité, conjuguant discipline tactique, rigueur logistique et une détermination farouche.

Leur engagement, loin des motivations mercantiles des sociétés militaires privées, puise sa force dans une cause éminemment juste et légitime : celle de la reconnaissance, de la sécurité, et de la citoyenneté réelle sur leur propre territoire. A les voir tenir tête, sans artillerie lourde ni soutien aérien, à des contingents étrangers suréquipés, c’est l’image d’une invincibilité morale qui se dessine.

Car là où le pouvoir en place empile les alliances vénales et les interventions commanditées, cette jeunesse incarne l’irréductible volonté d’un peuple à ne plus plier. Que Tshisekedi convoque les armées de l’ombre ou les marionnettistes des multinationales de la guerre, il ne triomphera pas d’une communauté qui s’est lève pour reconquérir sa propre voix.

Une autre figure tutélaire de cette réactivation effrénée du mercenariat globalisé n’est autre qu’Erik Dean Prince, entrepreneur martial au passé sulfureux, fondateur de la tristement célèbre société militaire privée Blackwater, aujourd’hui rebaptisée pour des raisons d’image mais nullement purgée de ses pratiques douteuses.

En janvier 2025, dans une opacité contractuelle inquiétante, cet acteur de la guerre privatisée a paraphé un accord stratégique avec le gouvernement congolais, lui conférant mandat non seulement pour sécuriser les sites miniers, cœur battant de la rente extractive congolaise, mais aussi, fait d’une gravité extrême, pour superviser les mécanismes de perception fiscale liés à ces ressources.

Il ne s’agit plus ici d’une délégation ponctuelle de tâches sécuritaires, mais bien d’un transfert souverain de compétences régaliennes à une entité privée étrangère, dont l’histoire est entachée d’exactions en Irak, en Afghanistan et ailleurs. Par cette concession scandaleuse, la RDC s’enfonce un peu plus dans la logique néocoloniale des protectorats d’antan, où les empires économiques supplantent les États faillis, et où la fiscalité fondement de toute souveraineté est confiée non à l’administration nationale, mais à des milices corporatistes aux desseins opaques. Sous couvert d’ordre et d’efficacité, c’est l’essence même de l’État congolais qui se trouve délégitimée, vidée de sa substance, livrée au bon vouloir d’un seigneur mercenaire en costume-cravate.

À Doha pourtant, sous l’égide de médiateurs, des pourparlers délicats s’engagent entre l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23) et des émissaires du gouvernement, s’attachant à mettre à nu les causes profondes d’une instabilité chronique : exclusion politique, déni de citoyenneté, compétition foncière, et bien sûr, la ruée prédatrice sur les minerais du Kivu.

Mais pendant que les négociateurs cherchent une paix durable, le chef de l’État, tel un pèlerin cynique, déploie ses ambitions bellicistes jusque dans les Amériques. À Bogotá, dit-on, il aurait délégué la société militaire américaine Blackwater pour recruter de nouveaux contingents de mercenaires, faisant fi de toute cohérence diplomatique, ignorant les appels au cessez-le-feu, méprisant jusqu’aux exhortations de ses alliés occidentaux.

Il ne s’agit plus ici d’un simple choix militaire, mais d’un crime éthique contre la nation. Car derrière ces contrats opaques se dissimulent d’obscures rétrocommissions, alimentant des comptes offshore et engraissant une caste prédatrice.

La guerre, pour Tshisekedi, semble être moins une tragédie qu’une rente. Le sang versé des civils, les villages rasés, les enfants enrôlés, deviennent les variables silencieuses d’un marché funeste dont les dividendes s’accumulent à l’abri des regards, dans les coffres des paradis fiscaux.

La République démocratique du Congo, martyrisée depuis des décennies, n’avait pas besoin d’un énième seigneur de guerre travesti en chef d’État. Elle avait besoin d’un bâtisseur de paix, d’un garant de l’État de droit, d’un homme capable de rompre avec les logiques prédatrices du passé.

Au lieu de cela, elle se retrouve ligotée dans une guerre importée, téléguidée par des intérêts privés, où les mercenaires étrangers se substituent aux forces nationales, humiliant une fois de plus la dignité du peuple congolais.

Il est encore temps de refermer cette parenthèse lugubre. De mettre un terme à cette privatisation de la violence. De rendre à la diplomatie, au droit, et à la souveraineté populaire leurs lettres de noblesse.

Mais pour cela, il faudra rompre avec la duplicité présidentielle, exiger des comptes, et rappeler que la légitimité d’un pouvoir ne se mesure pas à la puissance de feu qu’il achète, mais à la justice qu’il garantit.

À Goma, des mercenaires étrangers, principalement venus d’Europe de l’Est ou issus de sociétés militaires occidentales, étaient visibles un peu partout

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