Ce rapprochement ne procède nullement d’une alliance formelle, encore moins d’une entente diplomatique durable : il se fonde sur une résonance idéologique, sur une commune aversion plutôt que sur un projet partagé. Le ressentiment constitue ici la trame invisible de l’entente, un ressentiment dirigé contre les formes contemporaines de la démocratie libérale, contre les principes inclusifs de l’État de droit, contre ce que les deux hommes dénoncent comme les excès d’un progressisme devenu, selon eux, nihiliste.
Derrière les postures martiales et les slogans galvanisants, Vladimir Poutine et Donald Trump apparaissent comme les chantres d’un ordre moral révolu, nourri d’un traditionalisme viriliste, d’un autoritarisme assumé et d’une conception hiérarchique du monde social.
Leur rhétorique s’alimente aux mêmes sources : rejet de la « cancel culture », stigmatisation des minorités sexuelles et dénonciation du multiculturalisme comme menace à l’unité nationale. Plus fondamentalement, tous deux professent une méfiance viscérale à l’égard de l’universalisme démocratique incarné selon leur grille d’analyse par une Union européenne déliée du réel et par une société civile mondialisée et ingouvernable.
Ainsi se dessine un axe régressif, non point de coopération stratégique, mais de communion réactive, unis par l’hostilité envers les conquêtes sociales et culturelles du XXIe siècle, dans une tentative désespérée de restauration des vieilles verticalités.
Choc des souverainismes : visions disjointes d’un monde post-occidental
Or, derrière cette affinité de façade, les divergences de fond ne sauraient être occultées. Car si Donald Trump et Vladimir Poutine se rejoignent dans leur rejet du modèle libéral, leurs représentations respectives de la puissance nationale divergent radicalement. Le président russe érige la multipolarité en dogme géopolitique, rêvant d’un monde où les grandes civilisations, enracinées dans leur sol et leur mythe fondateur, se gouverneraient sans interférence.
La Russie, selon cette conception, n’est pas un État parmi d’autres mais un pôle civilisationnel, une entité historique indissolublement liée à son espace, à sa langue et à son orthodoxie.
Trump, quant à lui, malgré son isolationnisme affiché, ne renonce pas à l’idée d’une Amérique hégémonique, non par le rayonnement de ses valeurs qu’il juge corrompues par les élites globalisées mais par la brutalité de sa force économique et militaire.
Le slogan « America First » ne désigne pas seulement un repli stratégique : il postule une primauté américaine rétablie par la domination commerciale et par la logique du rapport de force. Là où Poutine voit dans l’histoire un socle immuable de légitimation, Trump y perçoit un décor interchangeable au service de l’intérêt national.
Cette opposition dessine les contours d’un malentendu structurel : Poutine prône un ordre du monde régi par le pluralisme des puissances enracinées, tandis que Trump aspire à une primauté américaine libérée des contraintes du droit international mais toujours apte à dicter la norme. Une coalition de circonstances, mais non de projet ; un pacte de ressentiment, sans horizon commun.
Une entente spectrale : le spectre d’un monde désenchanté
Il serait erroné de croire à la résurgence d’un « axe Washington-Moscou » tel que l’histoire en a parfois esquissé les contours. Ce qui se joue aujourd’hui n’est ni de l’ordre de Yalta, ni de celui d’une nouvelle détente. C’est un théâtre de simulacres, un entrelacs d’ego et de ressentiments, où l’ordre international cède peu à peu la place à un désenchantement systémique.
Les capitales européennes, longtemps persuadées que l’ordre libéral était l’horizon indépassable de la modernité politique, découvrent avec stupéfaction la résilience des autoritarismes charismatiques et des visions antilibérales du pouvoir.
En érigeant la souveraineté en valeur suprême, en totem intouchable de la régénérescence nationale, Donald Trump et Vladimir Poutine opèrent une subversion méthodique des principes qui avaient jusqu’alors régi l’architecture multilatérale héritée de l’après-guerre.
Cette souveraineté qu’ils invoquent, loin d’être simplement juridique, est transfigurée en absolu identitaire, en rempart contre toute forme d’altérité normative. Elle devient l’instrument d’une dérégulation stratégique du monde, un levier par lequel ils s’emploient à délégitimer les structures de concertation, les traités contraignants, et jusqu’aux instances de médiation qui garantissaient, vaille que vaille, un équilibre entre puissances.
L’État-nation, sanctuarisé, y redevient l’unique foyer de la légitimité politique, contre l’idéal cosmopolitique d’une gouvernance partagée et contre la logique des interdépendances assumées.
Or, ce renversement s’opère dans un contexte où l’ordre multilatéral vacille déjà sous le poids de ses propres apories. Miné par les incohérences doctrinales de l’Occident, fragmenté par la prolifération des conflits asymétriques, il n’offre plus qu’une façade vacillante d’universalité.
Les appels à la coopération, les injonctions à la solidarité transnationale se heurtent désormais à une défiance généralisée, nourrie par les échecs successifs des interventions dites humanitaires, par le discrédit moral des élites globalisées et par l’incapacité chronique des grandes puissances à répondre aux urgences planétaires.
C’est dans cet interstice, entre le désaveu de l’ancien monde et l’absence d’un nouveau que Trump et Poutine déploient leur contre-modèle : celui d’un monde désenchanté, livré aux souverainetés rivales, aux alliances d’opportunité et aux pulsions de repli.
Si collusion il y a, elle se situe sur le terrain du symbolique, dans la revendication conjointe d’un retour à un « bon sens » conservateur, d’un monde où les hiérarchies seraient naturelles et la diversité perçue comme pathologique.
Il ne s’agit pas d’un axe au sens diplomatique, mais d’un alignement fantomatique, d’un spectre idéologique qui hante la scène mondiale et annonce un temps de grandes ruptures, de fractures verticales, et peut-être, d’implosions silencieuses.

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