A l’instar de ce dernier, Truong My Lan a bâti un empire de tromperies financières d’une ampleur titanesque, orchestré non pas dans les arcanes de Wall Street mais au cœur de Ho Chi Minh-Ville. Sa méthode diffère dans les modalités, mais rivalise dans la démesure et la duplicité.
Longtemps perçue comme une figure respectable du capitalisme vietnamien florissant, magnifiée dans les sphères de l’immobilier de luxe et de la haute finance, Truong My Lan s’est révélée être l’architecte d’un système sophistiqué de prédation économique. Elle a, durant plus d’une décennie, pillé les fonds de la Saigon Commercial Bank (SCB), établissement dont elle contrôlait plus de 90 % du capital à travers un maillage d’hommes de paille, de sociétés écrans et de complicités internes.
Par un jeu complexe de prêts fictifs, d’obligations frauduleuses et de manipulations comptables, elle est parvenue à détourner environ 27 milliards de dollars. Un montant astronomique qui place son dossier au rang des plus grandes escroqueries financières de l’histoire contemporaine de l’Asie.
En avril dernier, un tribunal de Ho Chi Minh-Ville l’a condamnée à la peine capitale pour ce gigantesque détournement de fonds. À cette sentence s’ajoute une peine de trente années de réclusion pour blanchiment aggravé, dans le cadre d’une autre branche de l’affaire.
Mais alors que nombre de ses compatriotes condamnés pour des montants bien moindres n’échappent pas à l’exécution, Mme Lan semble bénéficier d’un infléchissement providentiel du droit pénal.
Son avocat, Me Giang Hong Thanh, a annoncé cette semaine que la peine capitale serait commuée en réclusion criminelle à perpétuité, en application d’un récent amendement législatif. Ce texte prévoit que certains condamnés à mort peuvent obtenir une réduction de peine s’ils restituent une partie significative des fonds détournés. « Elle est très heureuse », a déclaré l’avocat à l’AFP, précisant qu’en remboursant les trois quarts des sommes en cause, sa cliente pourrait prétendre à une remise de peine supplémentaire.
Cette mansuétude relative n’en reste pas moins singulière dans un pays où la justice demeure réputée inflexible, notamment pour les crimes économiques. Le Vietnam, qui continue de pratiquer les exécutions capitales, envoie ainsi un signal ambigu : si la fermeté judiciaire est affichée dans la rhétorique officielle, la possibilité d’une clémence tarifée pour les fraudeurs les plus puissants ne manque pas de nourrir un sentiment d’injustice au sein de la population.
Le scandale Lan, par son ampleur et son retentissement, dépasse le cadre d’une simple affaire pénale. Il interroge la solidité des institutions financières vietnamiennes, la porosité entre les sphères politique et économique, et la faiblesse chronique des mécanismes de contrôle. Cette affaire met crûment en lumière les risques d’un capitalisme dérégulé où l’opacité des circuits financiers sert de paravent à une spoliation méthodique.
Derrière les chiffres vertigineux se dessine le visage d’un système d’impunité structurelle, où la réussite économique fulgurante, tant vantée dans les narratifs de croissance, repose parfois sur des fondations de sable. Truong My Lan n’est sans doute pas une anomalie, mais le produit d’un contexte où la fortune peut croître plus vite que la morale, et où l’enrichissement privé s’effectue au détriment du bien commun.
Ainsi, en échappant à la peine capitale, la Madoff du Vietnam entre dans l’histoire non comme une martyre de la rigueur judiciaire, mais comme le symbole d’un capitalisme sans conscience, où les voleurs de bœufs, pour reprendre l’adage, finissent parfois par échapper à la corde en restituant les œufs.

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