Comme si la mémoire de l’Holocauste, du génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994, des massacres de Srebrenica en 1995 ou encore des charniers du Cambodge, n’avait laissé qu’une empreinte fragile, aussitôt effacée par la résurgence d’un même mal : celui de la déshumanisation érigée en discours officiel et en praxis politique.
A Uvira, cité frontalière du Sud-Kivu, les Wazalendo, supplétifs armés agissant avec l’aval du gouvernement congolais ont lancé un ultimatum glaçant : « Dans dix jours, tous les Tutsis doivent quitter Uvira. Vendez vos maisons et partez ! »
Cet ordre, relayé par plusieurs de leurs chefs, ne relève pas d’une simple rhétorique de haine : il constitue un appel explicite au déracinement, à l’expropriation et, in fine, à l’anéantissement d’une communauté identifiée comme cible.
L’idéologie génocidaire dirigée contre les Tutsi, loin de se cantonner aux marges extrémistes ou aux discours souterrains, s’impose désormais comme le socle doctrinal du conflit congolais.
Elle ne se limite plus à une rhétorique haineuse ou à des imprécations isolées : elle irrigue les structures de pouvoir, alimente les discours officiels et légitime l’action des milices supplétives.
En érigeant l’exclusion et la déshumanisation des Tutsi en horizon politique, ce système de pensée instaure un climat où l’anéantissement de l’Autre devient non seulement concevable mais présenté comme nécessaire à la survie nationale.
Ainsi se déploie, à bas bruit mais avec constance, la mécanique propre à l’extermination : identification de la cible, désignation comme étrangère à la communauté humaine, stigmatisation publique, puis appel explicite à la disparition, jusqu’à l’accomplissement du passage à l’acte.
Ce processus, dont l’Histoire a tragiquement consigné les étapes au XXᵉ siècle, se rejoue aujourd’hui avec une inquiétante clarté dans l’Est de la République démocratique du Congo.
Le Bureau de la Conseillère spéciale des Nations unies pour la prévention du génocide avait déjà, dans un communiqué sans équivoque, alerté sur les « massacres généralisés et systématiques » commis contre les Tutsi congolais.
Le même texte soulignait l’impunité quasi totale dont bénéficient les auteurs, une impunité si délétère qu’elle a conduit, par une surenchère d’horreurs, jusqu’à des actes de cannibalisme commis à l’encontre de victimes tutsi. Ce seuil de barbarie absolue, franchi dans l’indifférence complice des institutions nationales, atteste que l’engrenage est bel et bien celui du génocide : exclusion, stigmatisation, menaces d’éradication, violences massives et enfin destruction physique.
L’ultimatum lancé à Uvira s’inscrit dans cette continuité macabre. Il est l’expression d’une idéologie d’exclusion totale, où la communauté tutsi, privée de sa citoyenneté de fait, est condamnée à disparaître de l’espace social, politique et même géographique du Congo. Il ne s’agit plus seulement de haine, mais d’une entreprise planifiée de négation de l’existence même d’un peuple.
Les signaux d’alerte sont clairs, identifiables, documentés. Ils sont les mêmes qui, jadis, précédaient les massacres de masse au Rwanda, en Bosnie, au Cambodge. Les ignorer serait commettre le crime de l’aveuglement volontaire. Les banaliser ou les relativiser reviendrait à se rendre complice d’une tragédie annoncée.
L’Histoire nous enseigne que les génocides ne naissent jamais d’un coup de tonnerre, mais d’une longue pluie de mots de haine, de déshumanisation méthodique, de menaces répétées puis d’actions tolérées, couvertes ou encouragées par les autorités.
Aujourd’hui, cette mécanique est en marche dans l’Est de la RDC. Et demain, si rien n’est fait, les cendres d’Uvira viendront s’ajouter à l’interminable cortège des mémoires endeuillées.

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