En frappant une figure éminente du sérail kabiliste, le régime en place semble prolonger une stratégie de mise au ban systématique des anciens piliers de l’État, dans une logique d’épuration mémorielle aux relents inquiétants. Mais au-delà du seul héritage politique, c’est toute une appartenance régionale et linguistique qui semble désormais suspecte. Après les tutsi congolais, longtemps stigmatisés, c’est au tour des swahiliphones, ces fils de l’Est, d’être perçus à travers le prisme déformant de la suspicion.
L’on assiste dès lors à l’esquisse d’un paradigme où l’origine géographique ou l’allégeance passée suffisent à justifier les persécutions, dans une République que l’on disait pourtant unie dans sa diversité. Cette dérive identitaire, qui confond justice et règlement de comptes, fracture plus profondément encore le tissu national congolais, en substituant à la citoyenneté partagée une logique de tri ethno-politique délétère.
Dans l’opacité d’un appareil sécuritaire de plus en plus accusé de dérives autoritaires, une nouvelle arrestation vient jeter une ombre supplémentaire sur la situation politique en République démocratique du Congo. Le général de brigade Pierre Banywesize, ancien chef d’état-major particulier du président Joseph Kabila, a été interpellé ce jeudi à Kinshasa, après avoir répondu à une convocation officielle émanant de la haute hiérarchie militaire. Cette arrestation, opérée sans que les motifs n’en soient publiquement précisés, s’inscrit dans une dynamique inquiétante de répression silencieuse mais méthodique à l’endroit des proches de l’ancien chef de l’État.
Un climat délétère de suspicion permanente
La figure du général Banywesize n’est pas anodine. Officier loyal, homme de l’ombre au sein des arcanes du pouvoir kabiliste, il incarne une époque où l’appareil militaire était étroitement lié à la stabilité politique du régime. Son interpellation, dans un contexte de tensions croissantes entre l’actuelle administration et les résidus organiques du pouvoir précédent, résonne comme un acte de défiance à l’égard d’une mémoire encore vivace.
Plus encore, elle constitue un signal politique lourd de sens : nul, fût-il militaire de carrière et ancien serviteur de l’État, ne saurait échapper à la logique de mise au pas imposée par le régime en place.
Le procédé interroge par sa brutalité feutrée. Le général Banywesize n’a pas été arrêté à la suite d’une fuite, ni dans le cadre d’une opération de sécurité publique ; il a été convoqué, puis détenu, dans une mécanique qui évoque moins la justice que la mise en scène d’un pouvoir qui cherche à étouffer toute voix potentiellement dissidente. La manœuvre rappelle ces pratiques d’ancien régime où la convocation devient traquenard, et où l’État de droit cède le pas à la raison d’État.
L’arrestation du général Banywesize ne saurait être interprétée comme un simple fait divers judiciaire. Elle s’inscrit dans une série d’actes convergents qui laissent entrevoir une volonté délibérée de neutralisation des figures associées à l’ancien président Joseph Kabila.
Depuis plusieurs mois, les signaux se multiplient : harcèlements administratifs, convocations abusives, accusations sans suite, gel d’avoirs ou arrestations arbitraires. C’est une véritable cartographie de la défiance politique qui semble se dessiner, dans laquelle l’ancien régime devient l’ennemi intime à abattre.
Ce climat délétère, où la loyauté passée devient une marque d’infamie, suscite une inquiétude légitime quant à l’avenir de la démocratie congolaise. A l’heure où l’on prétend tourner la page des autoritarismes, l’actuel pouvoir semble reprendre à son compte les logiques qu’il prétendait dénoncer. La justice, loin de s’ériger en pilier impartial de la République, est instrumentalisée à des fins de contrôle politique. Le droit devient alors une façade, derrière laquelle se jouent des règlements de comptes impunis.
Dans un État véritablement démocratique, la rupture avec un régime antérieur ne saurait se faire par l’épuration, mais par l’établissement d’un contrat de confiance entre le pouvoir et la société. L’arrestation de l’un des généraux les plus respectés de l’ancien système, sans transparence ni garanties procédurales, contribue au contraire à fracturer davantage un tissu national déjà éprouvé par l’instabilité et la défiance.
Plus fondamentalement, la multiplication des actes de représailles institutionnelles traduit une panique du pouvoir face à la persistance d’un contre-discours. Or, en s’en prenant aux individus, c’est l’idée même de pluralité politique qui est mise à mal. On ne gouverne pas durablement par la peur ni par le soupçon ; on gouverne par le consensus et la légitimité. Et celles-ci ne sauraient s’obtenir par l’arrestation de ceux qui ont, un jour, incarné une part de la souveraineté nationale.
Il appartient désormais à la société civile, aux garants moraux de la République, aux chancelleries étrangères et à tous ceux qui croient encore à l’État de droit en Afrique centrale, de faire entendre une exigence de justice équitable, transparente, impartiale. Car aujourd’hui, c’est le général Banywesize ; demain, ce pourrait être quiconque ose ne pas s’aligner sur la ligne officielle.
La République démocratique du Congo mérite mieux que la vengeance maquillée en justice. Elle mérite une refondation sereine, inclusive, où les anciennes loyautés ne deviennent pas des motifs d’exclusion, mais des jalons d’un dialogue national adulte, capable de faire coexister mémoire, responsabilité et avenir.

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