Vers une diplomatie migratoire externalisée

Redigé par Tite Gatabazi
Le 12 mai 2025 à 11:34

Alors que le spectre du populisme ne cesse d’assombrir l’horizon politique du Royaume-Uni, notamment sous la forme montante du parti Reform UK, certaines voix conservatrices appellent à une refondation stratégique de la politique migratoire britannique.

C’est dans ce contexte de recomposition idéologique que Tim Loughton, ancien parlementaire tory et jadis président de la commission des affaires intérieures, propose un alignement inédit entre Londres et Bruxelles autour d’un dispositif inspiré du « plan Rwanda ».

Cette suggestion, exposée dans un recueil de réflexions publié par le think tank Bright Blue, illustre la tentation grandissante d’externaliser la gestion des flux migratoires vers des États tiers.

Loughton estime en effet que le projet initial qui prévoyait le transfert au Rwanda de demandeurs d’asile déboutés ou présumés non éligibles, et que le gouvernement travailliste a promptement abandonné aurait représenté, malgré ses lacunes, la première tentative concrète de faire face à une impasse migratoire jugée ingérable.

A ses yeux, une telle solution gagnerait en efficacité et en légitimité si elle était réarticulée à travers un partenariat avec des États membres volontaires de l’Union européenne, dans le sillage du nouveau cadre législatif adopté par Bruxelles au mois de mars. Ce texte communautaire autorise en effet les accords de réinstallation avec des pays extérieurs à l’UE, dans une logique de sous-traitance migratoire désormais assumée.

Dans cette perspective, le Royaume-Uni, bien que détaché de l’Union depuis le Brexit, pourrait trouver une voie médiane entre isolement diplomatique et coordination pragmatique. Pour Loughton, les incantations gouvernementales contre les mafias de passeurs demeurent inopérantes tant qu’elles ne sont pas adossées à des mesures structurelles et dissuasives. D’où l’appel à une coopération renforcée avec certains partenaires européens, susceptibles de porter ce modèle avec une volonté politique convergente.

Mais l’ambition du recueil ne s’arrête pas à la simple reconfiguration de dispositifs techniques. Elle engage une remise en cause plus profonde des fondements juridiques de la politique d’asile contemporaine. Andrew Mitchell, ancien secrétaire d’État au développement international, plaide ainsi pour une révision en profondeur tant de la Convention de Genève de 1951 que de la Convention européenne des droits de l’homme. Il y voit des cadres normatifs obsolètes, inaptes à répondre aux dynamiques contemporaines de mobilité forcée et de migration économique.

Mitchell ne se contente pas d’un diagnostic ; il esquisse également un horizon. À ses yeux, le Royaume-Uni se trouve en position privilégiée pour impulser une réforme globale du droit international migratoire. Fort de son expertise diplomatique et de ses ressources intellectuelles, il pourrait proposer une approche nuancée, articulant lucidité stratégique et exigence morale.

Il s’agirait alors d’agir sur les causes profondes de l’exode instabilité politique, misère économique, déséquilibres climatiques plutôt que de s’épuiser à colmater les brèches du présent.

C’est dans cette optique qu’il évoque la nécessité d’un nouveau « Plan Marshall » pour l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. À l’instar de l’effort américain de reconstruction de l’Europe après 1945, ce projet viserait à stabiliser les régions sources de migration par une politique concertée d’investissements massifs, conditionnés à des réformes structurelles.

Mitchell propose ainsi une méthode duale, faite d’incitations économiques (« la carotte ») et de rigueur diplomatique (« le bâton »), pour éviter ce qu’il appelle l’« exode de masse » qui, sans cela, semble inéluctable.

Dans leur préface, les auteurs de Bright Blue lancent une mise en garde sans équivoque à l’endroit des conservateurs : le vide laissé par une politique migratoire inconsistante sera inexorablement comblé par les forces populistes. Le Parti tory, disent-ils, doit rompre avec les oscillations erratiques entre libéralisme incantatoire et fermeture répressive, qui ont entaché sa crédibilité tout au long de son dernier passage au pouvoir. Les « promesses irréalisables » et les emballements médiatiques ont laissé place à une désaffection populaire dont Reform UK tire aujourd’hui bénéfice.

Le rapport se conclut sur une note d’alerte quasi dramatique : « Le loup est à la porte ». En d’autres termes, si le Parti conservateur ne s’attèle pas immédiatement à la reconstruction d’une vision migratoire fondée sur la cohérence, la justice et l’efficacité, il sera dévoré par ses propres renoncements. Le populisme n’est plus une menace hypothétique : il est devenu la sanction logique d’un long processus d’impuissance étatique.

Cette analyse intervient alors que le gouvernement s’apprête à dévoiler, ce lundi, un livre blanc présenté comme un tournant majeur dans la politique migratoire du pays. Parmi les orientations annoncées : l’interdiction d’embaucher des aides-soignants étrangers, un durcissement des critères linguistiques pour les migrants, et des incitations fiscales à la formation de la main-d’œuvre nationale. Des mesures qui, à défaut d’un projet global, risquent de n’être perçues que comme les symptômes d’un repli frileux.

Certaines voix conservatrices britanniques appellent à une refondation stratégique de la politique migratoire au Royaume-Uni

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