La parole politique comme arme de disqualification et de soupçon

Redigé par Tite Gatabazi
Le 30 décembre 2025 à 04:00

Il est des formations politiques qui semblent se consumer moins sous l’effet d’attaques extérieures que par la lente érosion interne de leur propre exigence morale.

L’Union pour la Démocratie et le Progrès Social UDPS, naguère portée comme un étendard de résistance face à l’arbitraire, apparaît aujourd’hui comme l’ombre dégradée d’elle-même. Ce mouvement, qui fut longtemps synonyme de courage civique et de quête opiniâtre d’État de droit, donne désormais l’impression de se réduire à des rassemblements routiniers, vidés de sève intellectuelle, où se succèdent invectives faciles, gesticulations oratoires et postures d’auto-justification.

Dans ce décor crépusculaire, les récentes déclarations d’Augustin Kabuya résonnent avec une gravité particulière. En affirmant détenir des « preuves irréfutables » d’une prétendue collusion entre les évêques catholiques de la CENCO et l’AFC/M23, il ne se contente pas de jeter l’anathème sur une institution ecclésiale ; il participe d’une inflation du soupçon qui fragilise davantage un corps social déjà durement éprouvé par la crise sécuritaire et la défiance généralisée.

La parole politique, au lieu d’apaiser, de rassembler et d’ouvrir des espaces de rationalité, se transforme alors en instrument de disqualification, de stigmatisation et d’embrasement des passions.

Certes, nul citoyen, fût-il prélat, n’est placé au-dessus de la loi. Les évêques, en tant que Congolais à part entière, ne sauraient prétendre à une immunité illimitée au seul motif de leur ministère pastoral ; ils demeurent justiciables des juridictions de droit commun si des faits précis et juridiquement qualifiés venaient à être établis.

Mais précisément : la gravité des accusations exige rigueur, prudence et sens des responsabilités. L’invocation théâtrale de « preuves » jamais produites, la mise en scène de révélations annoncées sans être étayées, relèvent moins de l’éthique républicaine que d’une stratégie de diversion politique.

Le procédé n’est d’ailleurs pas inédit. La mémoire collective n’a pas oublié les déclarations fracassantes de responsables gouvernementaux au premier rang desquels le ministre de la Défense, Jean-Pierre Bemba affirmant détenir des éléments accablants impliquant l’ancien Président Joseph Kabila dans le soutien au groupe armé Mobondo.

Ces proclamations péremptoires, relayées avec fracas puis démenties dans le silence, n’ont jamais donné lieu ni à preuves publiques ni à excuses. Entre-temps, les esprits ont été échauffés, les antagonismes consolidés et le débat public davantage envenimé.

Plus inquiétant encore : ces anathèmes se déploient alors même que l’opinion découvre, par d’autres canaux, des allégations sensibles concernant l’implication de proches du pouvoir dans le soutien à certaines milices, comme les Mobondo. La tentation est grande, dès lors, de voir dans la surenchère verbale non pas la recherche sincère de la vérité, mais une manière commode de déplacer le centre de gravité des responsabilités et d’entretenir une confusion propice à l’impunité.

L’UDPS, en s’abandonnant à ces rhétoriques de délation allusive et d’accusation sans preuves rendues publiques, s’éloigne de l’éthique démocratique qui fit sa légende. La vraie grandeur d’un parti au pouvoir ne réside ni dans l’exaltation d’une base chauffée à blanc, ni dans la multiplication de polémiques accusatoires, mais dans la capacité à opposer la sobriété institutionnelle au tumulte, la vérité vérifiable au slogan, la justice indépendante à l’arbitraire des discours.

Au fond, la question qui se pose est moins celle de tel prélat ou de tel chef politique que celle de la qualité de la parole publique. Une démocratie ne se meurt pas seulement par les armes ; elle s’étiole lorsque la parole se délite, lorsque l’accusation remplace l’argument, lorsque le soupçon devient méthode de gouvernement.

Persévérer dans cette voie, c’est installer durablement le pays dans un climat de méfiance corrosive et d’hostilité diffuse, où nul n’est plus protégé contre la calomnie.

Il est urgent, pour ceux qui prétendent gouverner au nom du peuple, de retrouver la gravité du verbe, la retenue qui sied aux charges d’État et le respect scrupuleux des exigences de preuve.

Faute de quoi, l’UDPS ne sera plus seulement l’ombre d’elle-même : elle deviendra le symbole d’une promesse démocratique trahie par ceux-là mêmes qui auraient dû en être les gardiens.

En accusant la CENCO de collusion avec l’AFC/M23, Augustin Kabuya nourrit le soupçon et fragilise la société

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