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En France Lecornu succède à Lecornu

Redigé par Tite Gatabazi
Le 12 octobre 2025 à 01:34

La France s’est offert, ces derniers jours, le spectacle d’une tragi-comédie politique dont la scène finale, tout en paraissant ubuesque, en dit long sur l’état de décomposition d’un système en bout de souffle.

En renommant Sébastien Lecornu à la tête du gouvernement, après l’avoir vu remettre sa démission quelques heures auparavant, le président Emmanuel Macron a envoyé un message limpide : il ne s’agit plus de gouverner, encore moins de réformer, mais de tenir, tenir coûte que coûte, au prix d’un recyclage qui confine au grotesque.

Cette répétition mécanique, qui évoque la célèbre formule de Karl Marx selon laquelle « les grands événements de l’Histoire se produisent deux fois : la première comme tragédie, la seconde comme farce », illustre moins la continuité que la sclérose.

Une crise politique devenue systémique

Cette séquence, qui s’est ouverte sur une semaine de chaos et s’achève par une nuit interminable à l’Élysée, révèle une fragilité institutionnelle que les effets de manche présidentiels ne parviennent plus à masquer. La démission du Premier ministre, suivie de sa rénomination, n’est pas une péripétie anodine : elle traduit une impasse politique majeure dans laquelle le pouvoir exécutif se trouve désormais enfermé.

Privé de majorité absolue depuis les élections législatives, incapable de nouer des alliances stables et crédibles, le président gouverne à la manière d’un équilibriste fatigué, suspendu au-dessus d’un gouffre qu’il s’efforce de nier.

En refusant toute recomposition véritable, en se rabattant sur les mêmes visages, sur les mêmes logiques technocratiques, il consacre le triomphe de l’immobilisme au cœur d’une tempête. Cette inertie est d’autant plus périlleuse qu’elle s’accompagne d’une perte vertigineuse de légitimité : la confiance des Français dans leurs institutions, déjà ébranlée, s’érode à vue d’œil.

Le vide politique comme terreau de la démagogie

Or, la nature politique a horreur du vide. L’usure accélérée du pouvoir macronien, combinée à la fatigue démocratique et à la désaffection populaire, crée un espace béant que les forces extrémistes s’empressent d’occuper. L’absence de projet lisible, la succession de crises mal gérées, l’impression d’un pouvoir recroquevillé sur lui-même nourrissent une colère diffuse qui, faute d’être canalisée par une alternative crédible au centre ou à gauche, profite mécaniquement aux extrêmes.

Le désarroi social, la fragmentation territoriale et la crise économique font le lit des discours simplificateurs. Dans ce climat de défiance, l’ascension continue du parti de Marine Le Pen ne tient plus de la surprise, mais de la mécanique implacable. Là où le pouvoir se répète, l’extrême droite, elle, capitalise : elle prospère sur le ressentiment, se nourrit du vide politique et engrange patiemment un capital électoral devenu massif.

L’extrême droite comme symptôme et menace

Loin d’être une simple « protestation », la montée de Rassemblement national témoigne d’une transformation profonde du paysage politique français. Elle révèle une défiance structurelle envers les élites, un rejet de plus en plus frontal des institutions et une perméabilité accrue du débat public aux rhétoriques identitaires et autoritaires. Chaque faux pas présidentiel, chaque démonstration d’impuissance gouvernementale devient une pierre supplémentaire dans l’édifice de cette contestation radicale.

En donnant à voir une scène politique figée, réduite à un théâtre d’ombres où se rejouent indéfiniment les mêmes rôles, le pouvoir en place accrédite l’idée qu’aucun changement ne peut venir de l’intérieur du système. Cette perception, plus que toute stratégie électorale, alimente la dynamique d’une extrême droite qui n’a plus besoin de séduire : il lui suffit d’attendre que la maison s’effondre d’elle-même.

Une République au pied du mur

Le grotesque apparent de cette séquence politique ne doit donc pas masquer sa gravité. Ce qui se joue aujourd’hui dépasse la seule reconduction d’un Premier ministre. C’est l’épuisement d’un modèle institutionnel hyper-présidentialiste qui, à force de se refermer sur lui-même, engendre la crise dont il prétend se protéger. C’est une démocratie qui s’effiloche sous nos yeux, rongée par l’arrogance d’un pouvoir sans ancrage populaire et par la montée d’une colère prête à s’agréger autour des forces les plus radicales.

La République française est à la croisée des chemins : ou bien elle se réinvente par un sursaut démocratique et une ouverture sincère à la délibération collective, ou bien elle se condamne à voir croître, dans son ombre, une extrême droite qui n’a plus rien d’une menace lointaine. Le comique de situation auquel on assiste aujourd’hui pourrait bien n’être que le prélude à une tragédie politique d’une tout autre ampleur.

En renommant Sébastien Lecornu après sa démission, Macron a envoyé un message clair : il ne s’agit plus de réformer, mais de tenir coûte que coûte, au risque du grotesque

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