Environnement géostratégique en mutation en Afrique de l’Ouest

Redigé par Tite Gatabazi
Le 4 août 2025 à 11:36

Les armées ouest-africaines sont confrontées à une constellation de défis d’une acuité sans précédent. Dans un contexte régional marqué par la prolifération de groupes jihadistes de plus en plus structurés, mobiles et transnationaux, les États de la bande sahélienne notamment le Mali, le Burkina Faso et le Niger mènent une guerre asymétrique complexe et prolongée, sans que les victoires décisives n’aient pu encore inverser la dynamique de la terreur.

La situation est d’autant plus préoccupante que ces armées souffrent de fragilités structurelles profondes : moral des troupes érodé, capacités opérationnelles limitées, déficiences logistiques chroniques, et surtout, une dépendance persistante à l’expertise et à l’équipement fournis par des puissances extérieures, dont l’engagement se fait désormais plus incertain.

Dans les États côtiers, Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, Ghana, la menace est anticipée avec gravité, poussant à un renforcement des dispositifs de sécurité, sans pour autant écarter les risques d’essaimage des violences sahéliennes vers le sud.

Après le retrait des forces françaises : recompositions sécuritaires et aspirations souverainistes

Le retrait progressif des forces françaises de plusieurs pays du Sahel, sur fond de tensions diplomatiques et de rejets populaires, a radicalement modifié les équilibres sécuritaires. L’opération Barkhane, longtemps perçue comme l’épine dorsale du dispositif antiterroriste régional, a été contrainte à une réduction drastique de sa présence, voire à un repli complet dans certains États, notamment au Mali, où la rupture avec Paris a été consommée dans un climat de défiance manifeste.

Ce retrait a ouvert un espace géopolitique que d’autres puissances notamment la Russie via la société paramilitaire Wagner, mais aussi la Turquie ou la Chine cherchent à occuper, redessinant ainsi le paysage des alliances traditionnelles. Cette recomposition révèle le désir croissant de certains pays sahéliens de recouvrer une souveraineté stratégique, jusque-là jugulée par des partenariats asymétriques hérités de l’ordre postcolonial. Toutefois, cette quête d’émancipation s’accompagne de risques nouveaux : isolement diplomatique, diversification incontrôlée des fournisseurs militaires, et parfois, fragilisation accrue des normes démocratiques.

CEDEAO en crise : fractures internes et érosion du projet communautaire

La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), censée incarner l’architecture régionale de sécurité collective, traverse une période de turbulences majeures. Minée par des dissensions internes, fragilisée par les coups d’État militaires à répétition (au Mali, au Burkina Faso, au Niger), et discréditée par ses propres hésitations stratégiques, l’organisation régionale peine à assumer pleinement son rôle de garant de la stabilité.

L’imposition de sanctions contre les régimes issus de putschs a exacerbé les tensions, provoquant même des ruptures institutionnelles comme le départ du Mali, du Niger et du Burkina Faso de l’organisation en janvier 2024. Ces pays, désormais réunis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), revendiquent une nouvelle trajectoire politique et sécuritaire, affranchie des tutelles et des mécanismes de concertation jugés inefficaces.

Le retrait partiel ou total de ces États compromet les efforts de coordination régionale en matière de sécurité et limite les capacités d’intervention concertée face à une menace terroriste transfrontalière. Plus encore, il entame la légitimité de la CEDEAO, écartelée entre principes démocratiques, impératifs sécuritaires et volontés d’autonomie exprimées par certains de ses membres.

Vers une reconfiguration durable des logiques sécuritaires en Afrique de l’Ouest

Dans cet entrelacs de crises sécuritaires, de redéploiements stratégiques et de réaffirmations souverainistes, les armées ouest-africaines sont sommées de se réinventer. Cela suppose non seulement une refondation capacitaire via la professionnalisation des effectifs, le renforcement de la logistique et le développement de l’intelligence militaire mais aussi une reconfiguration des alliances, plus équilibrée, mieux pensée, et fondée sur une véritable coopération régionale.

La bataille contre le terrorisme ne saurait être gagnée sans une stabilité politique durable, un ancrage citoyen profond des forces armées, et un nouveau pacte de sécurité collectif à l’échelle ouest-africaine.

A l’heure où les partenaires traditionnels perdent en influence, il revient aux États africains de repenser la grammaire de leur sécurité, dans la dignité, la rigueur et la responsabilité.

Les armées ouest-africaines, notamment au Sahel, affrontent une guerre asymétrique prolongée face à des groupes jihadistes transnationaux, sans victoire décisive à ce jour

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