En l’autorisant dans des conditions strictes, exclusivement réservées aux cas d’infertilité médicalement avérée, le législateur opère une inflexion doctrinale majeure, révélatrice d’une volonté d’adapter le droit positif aux évolutions de la biomédecine et aux détresses silencieuses de nombreux couples.
Cette reconnaissance, néanmoins partielle et conditionnée à des décrets d’application à venir, ouvre la voie à des pratiques jusqu’alors marginales, telles que la conservation des gamètes et des embryons à des fins reproductives différées, mais surtout à la GPA, dont la portée sociétale dépasse largement le strict champ médical.
Derrière cette évolution normative, se profilent une série d’interrogations fondamentales, qui, à ce stade, demeurent sans réponse satisfaisante et qui interpellent tant le droit que l’éthique.
Une reconnaissance sous condition, un encadrement encore flou
Le législateur rwandais tente manifestement une synthèse prudente, entre d’une part l’impératif de soulager les souffrances morales et physiques de l’infertilité, et d’autre part la nécessité de préserver la dignité du corps féminin, de protéger les droits de l’enfant à naître, et de prévenir toute instrumentalisation mercantile de la maternité.
Mais cette volonté de conciliation, pour louable qu’elle soit, ne saurait masquer l’ampleur des zones d’indétermination que recèle le dispositif adopté.
Il importe dès lors de poser, sans ambages, les questions cruciales qui s’imposent à tout système juridique se risquant sur le terrain miné de la GPA :quel encadrement effectif sera instauré pour prévenir les dérives marchandes et l’exploitation de femmes vulnérables, notamment dans les zones rurales, où les déséquilibres socio-économiques peuvent favoriser des consentements viciés par la précarité.
Quelles garanties juridiques seront octroyées à la mère porteuse en cas de complications médicales graves, de décès fœtal ou de revirement de volonté en cours de grossesse ? Sera-t-elle protégée, assistée, indemnisée ?
Le consentement de toutes les parties sera-t-il réversible jusqu’à un certain seuil du processus, ou enfermé dans un contrat rigide dès la fécondation in vitro ?
Le lien de filiation entre l’enfant et les parents d’intention sera-t-il automatique et immédiat, ou subordonné à une procédure judiciaire d’adoption postérieure à la naissance, comme dans certains systèmes européens ?
Quels critères médicaux, sociaux et psychologiques seront exigés pour les mères porteuses et les parents d’intention ? Seront-ils uniformisés, vérifiables, justiciables ?
Enfin, le législateur prévoit-il d’autoriser, d’interdire ou d’encadrer le recours à des GPA transfrontalières, pratiquées à l’étranger mais visant une reconnaissance juridique sur le sol rwandais ?
Tant que ces questions ne trouveront pas de réponses précises et opposables dans un cadre normatif contraignant, la légalisation de la GPA restera inachevée, et potentiellement porteuse d’ambiguïtés lourdes de conséquences.
Une absence de débat public élargi et un consensus incertain
Au-delà de l’aspect technique et médical de la mesure, c’est la mutation symbolique du lien de filiation qu’elle induit qui devrait faire l’objet d’un débat public approfondi. Peut-on sérieusement affirmer qu’un consensus national s’est dégagé autour d’une pratique qui bouleverse les fondements anthropologiques de la parenté, qui interroge les notions de maternité, de lignée, de transmission biologique et affective ?
Comparatif international : entre prohibition éthique et encadrement pragmatique
Des pays comme la France, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse ou encore l’Espagne prohibent formellement toute forme de gestation pour autrui altruiste ou commerciale.
En France, les contrats de GPA sont frappés de nullité absolue, et les enfants nés à l’étranger dans ce cadre peinent à obtenir la transcription de leur filiation sur l’état civil français, ce qui soulève des contentieux récurrents devant la Cour européenne des droits de l’homme.
En Allemagne, le législateur a assorti l’interdiction de sanctions pénales visant non seulement les commanditaires, mais aussi les praticiens médicaux et intermédiaires.
Dans ces systèmes juridiques, la GPA est assimilée à une atteinte à la dignité humaine, un corps ne pouvant être loué, ni une maternité contractualisée.
Régimes intermédiaires
À l’inverse, des pays comme le Canada, le Royaume-Uni, la Grèce ou Israël autorisent la GPA, mais strictement encadrée et exclusivement non lucrative.
Au Royaume-Uni, la mère porteuse est la mère légale jusqu’à ce qu’un juge attribue la parentalité au couple d’intention via une procédure dite parental order.
Au Canada, la GPA altruiste est légale, mais tout paiement au-delà des frais remboursables est passible de sanctions.
Ce modèle cherche à concilier le respect des droits de chacun avec la reconnaissance des nouvelles réalités familiales.
Régimes libéraux ou commerciaux
Enfin, dans des juridictions comme certains États des États-Unis (notamment la Californie), ou des pays tels que l’Ukraine ou la Géorgie, la GPA est ouvertement commerciale, contractualisée, et donne lieu à un véritable marché procréatif.
Des agences spécialisées mettent en relation parents d’intention et mères porteuses, avec des compensations financières pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers de dollars. Ce modèle, s’il répond à une demande croissante, est largement critiqué pour ses dérives éthiques et sa logique consumériste.

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