Tel est le cas de la notion de « nationalité douteuse », invention pernicieuse qui a empoisonné la vie politique du Zaïre d’hier et de la République démocratique du Congo d’aujourd’hui. Sous l’apparence d’un débat sur l’identité nationale, cette rhétorique fut et demeure une arme d’exclusion dirigée contre les Tutsi congolais, citoyens pourtant enracinés depuis des générations dans les territoires du Kivu, mais que l’on s’est méthodiquement appliqué à désigner comme étrangers.
Une construction politique de l’exclusion
L’historien Basile Diatezwa, avec la rigueur de l’esprit critique et la probité de l’érudition, démonte les rouages de cette construction idéologique. La genèse du soupçon de « nationalité douteuse » remonte à la loi du 29 juin 1981, véritable césure dans l’histoire du droit congolais.
Cette loi, adoptée sous le régime de Mobutu Sese Seko, abolissait la nationalité aux populations rwandophones installées bien avant la période coloniale. En un trait de plume, des milliers de familles devinrent apatrides, reléguées hors du corps politique national, vouées à la suspicion et à la marginalisation.
L’État zaïrois, mû par une volonté de purification identitaire, s’érigea en arbitre de la « congolité ». Le Tutsi congolais devint l’autre par excellence : celui dont la langue, la mémoire, la coutume ou la morphologie servaient d’indices d’illégitimité.
L’administration, les forces armées et les médias officiels relayèrent cette stigmatisation, inscrivant la haine dans la trame même de la société. Ce discours de défiance, habillé du vocabulaire de la souveraineté, fut en vérité l’expression d’une insécurité politique chronique : la peur d’un ennemi intérieur imaginaire, censé incarner l’ingérence du Rwanda et menacer la fiction d’une unité nationale souvent brandie mais rarement vécue.
De l’idéologie à la persécution
Ce glissement du soupçon à la persécution se fit sans heurts apparents, tant l’idée d’une « infiltration tutsie » s’était enracinée dans les imaginaires collectifs. Les années 1990 et 2000 virent se multiplier les pogroms, les expulsions et les discours de haine contre cette communauté.
Des milliers de Tutsi furent contraints à l’exil, trouvant refuge dans des camps au Rwanda ou en Ouganda. Diatezwa souligne avec acuité que les armes qu’ils prirent par la suite ne furent pas celles de conquérants étrangers, mais celles de citoyens chassés de leur propre patrie, réclamant le droit élémentaire au retour et à la dignité.
C’est dans ce contexte que la Commission Vangu, sous couvert d’identifier les « vrais » et les « faux » Congolais, vint renforcer cette logique d’exclusion. L’entreprise de tri ethno-politique, en prétendant défendre la souveraineté nationale, jeta de l’huile sur les braises d’un ressentiment déjà incandescent.
L’Est du pays s’embrasa, pris dans une spirale de violences dont les racines plongent dans cette idéologie de la suspicion identitaire.
Une rhétorique ravivée dans le présent
Or, ce qui sidère aujourd’hui, note encore Diatezwa, c’est la réactivation de cette rhétorique par les plus hautes autorités de l’État. Depuis Bruxelles, face à ses partisans, en marge du Global Gateway Forum 2025, le président Félix Tshisekedi a, une fois encore, convoqué les vieux démons du passé, insinuant que le Rwanda manipulerait des populations « infiltrées » au sein du Congo.
Par ce procédé discursif, il légitime implicitement la persistance de la haine et de l’exclusion, au lieu de promouvoir la réconciliation et la citoyenneté inclusive.
Un État véritablement responsable, rappelle l’historien, n’érige pas des frontières intérieures entre ses enfants. Il protège chacun de ses citoyens sans distinction d’origine, de langue ou d’appartenance.
En maintenant vivante la fiction d’une « nationalité douteuse », la RDC s’enferme dans une guerre permanente non seulement contre le Rwanda, mais contre une part d’elle-même. Car en niant la congolité des Tutsi, elle nie sa propre pluralité, sa propre histoire, son propre avenir.
Une tragédie prolongée
La théorie de la nationalité douteuse n’est donc pas une simple erreur d’appréciation juridique ; elle constitue la matrice des souffrances, des massacres, des déplacements et de l’exil qui ravagent l’Est du Congo depuis plus de trois décennies. Elle est le socle sur lequel se sont bâtis les préjugés, les manipulations politiques et les cycles de violence qui déchirent encore la région.
Tant que cette idéologie de l’exclusion ne sera pas déconstruite à la racine dans les lois, les institutions, les discours et les mentalités, aucune paix véritable ne pourra s’établir sur la terre du Congo.
Ainsi, l’analyse de Basile Diatezwa s’impose comme une œuvre de salubrité morale : elle invite à reconnaître dans la « nationalité douteuse » non pas une question identitaire, mais une faute politique majeure, celle d’avoir confondu l’unité nationale avec l’uniformité ethnique, et la défense du territoire avec la désignation d’un ennemi intérieur.
Le salut du Congo, conclut-il, passe par la réhabilitation de la vérité historique et par le courage d’affirmer que les Tutsi du Congo sont, avant tout, des Congolais.

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