La démocratie est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». La définition d’Abraham Lincoln a le mérite de poser le principe fondamental et de faire l’unanimité : c’est d’ailleurs la plus respectueuse de l’étymologie du mot. Le principe universel une fois rappelé, il importe de réaffirmer fermement qu’il existe plus d’une forme de démocratie ou plutôt plusieurs « dominantes » dans les pratiques démocratiques car, dans la réalité, tous les systèmes sont mixtes : si, en démocratie, le peuple possède tous les pouvoirs de gouvernement, il en délègue toujours plus ou moins une partie à des représentants.
Les quatre systèmes démocratiques.
Selon le degré de délégation des pouvoirs, l’on distingue quatre formes de démocratie, dont trois sont très bien connues :
La démocratie à dominante « directe » ou le modèle athénien. La représentativité à Athènes, du temps de l’Agora et de l’Ecclésia, était réduite à sa plus simple expression ;
La démocratie à dominante « représentative ». Le peuple possède tous les pouvoirs mais il en délègue un certain nombre à des personnes ou à des groupes. Il s’agit du modèle « occidental » devenu, grâce à – ou à cause de – la colonisation puis de la mondialisation « libérale » de l’après-guerre froide, le modèle dominant et de référence ;
La démocratie à dominante « populaire ». Ce pléonasme exprime la condamnation du modèle « libéral », dans lequel une minorité « bourgeoise » usurperait les pouvoirs. Seuls Cuba, la Chine, le Vietnam et la Corée du Nord se réclament encore aujourd’hui de ce modèle ;
La quatrième forme démocratique, la démocratie « participative », est très méconnue et passe, pour les nostalgiques de la suprématie « occidentale », pour une démocratie « tropicale ».
La démocratie à dominante « participative » se définit comme l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens – TOUS ET TOUTES – dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision, d’acteurs dans leur propre développement. Ce système favorise une pleine participation de tous les citoyens au processus démocratique. Il est éminemment inclusif.
Le Pays des mille collines est sans doute le seul pays à pratiquer la démocratie participative et à l’inscrire dans sa Constitution. Selon l’article 50 du projet de réforme constitutionnelle 2015, intitulé « devoir de participation au développement du pays » « tous les citoyens ont le devoir de contribuer au développement du pays par leur travail, en sauvegardant la paix, la démocratie, l’égalité et la justice sociale et de participer à la défense de leur pays. »
Pourquoi le Rwanda est-il sans doute le seul pays qui pratique cette forme de démocratie ?
Choix de la démocratie participative : 1994, une tragédie collective et une leçon
Au Pays de Gihanga, il y a un avant et un après 1994 : aujourd’hui, l’on est en l’an 21 après le génocide (apr. G.).
Comme le rappelle en termes bien choisis Aimé Césaire (Discours sur le colonialisme, 1950), la colonisation est une aliénation, une « chosification » : « des sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées ».
Cette aliénation, même si elle ne suffit pas à l’expliquer, est une des causes du génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda en 1994 : l’unité culturelle (linguistique, religieuse, artistique...) n’a pas pu suffisamment résister à la volonté du colonisateur de diviser les Banyarwanda en « racialisant » ce qui n’était que des classes sociales et des catégories socio- professionnelles (tutsi, hutu, twa).
Et c’est ce racisme, devenu racisme d’Etat, qui va conduire à l’extermination d’un million de Tutsi, un siècle après l’arrivée des Occidentaux (Allemands puis Belges). Et ce crime des crimes se déroula dans l’indifférence totale de la « Communauté internationale » c’est-à-dire des mêmes Occidentaux responsables et, pour certains, complices du « dernier génocide du XXème siècle ».
Ce traumatisme collectif permet de mieux comprendre pourquoi, bien plus que les autres pays de la même zone culturelle, le Rwanda a fait le choix de retrouver son âme, de se tourner vers sa culture pour y puiser ses propres solutions.
Depuis la mise en place de la « Vision 2020 » (prononcer : « vingt vingt ») en 1998, bien de pratiques traditionnelles ont été remises à l’honneur en même temps qu’une politique de décentralisation avancée était enclenchée dans le but d’inclure et de faire participer le plus possible les populations dans leur propre développement.
Mise en place progressive de « solutions localement conçues » (« Home Grown Solutions »)
Le recours aux solutions endogènes est inscrit dans le très récent projet de révision de la constitution rwandaise à l’article 11 :
Article 11 : Solutions localement conçues par le peuple rwandais
Pour trouver des solutions locales aux problèmes, le peuple rwandais fait recours aux mécanismes suivants :
1° le Conseil National de Dialogue ;
2° les Conciliateurs.
Une loi peut créer d’autres solutions localement conçues en vue du développement national et de la promotion de la culture nationale.
Dix « Solutions localement conçues » (SLC) sont recensées et décrites dans "Rwandapedia". Lancé très officiellement le 30 octobre 2013, ce site internet bilingue (kinyarwanda-anglais) est détenu, développé, géré par le Rwanda afin de proposer lui-même son Histoire et les perspectives de son développement.
Il s’agit, dans l’ordre chronologique de leur réintroduction - modernisation officielle à différents niveaux de décentralisation :
Ingando (« camp social », 1997) ;
Umuganda(« travail communautaire », 1998) ;
Imihigo (« contrats de performance »,.2000) ;
Ubudehe (« travail collectif et débat entre voisins pour la réduction de la pauvreté », 2001-2012) ;
Gacaca (« tribunal sur l’herbe », 18 juin 2002-18 juin 2012) ;Umushyikirano(« dialogue national », 2003) ;
Umwiherero (« retraite gouvernementale élargie » 10-17 janvier 2004) ; Abunzi (« réconciliateurs », « médiateurs », 2004) ;
Girinka (« que tu aies une/des vache-s ! », une vache par famille pauvre, 2006) ;
Itorero (« lieu de sélection » ou école civique traditionnelle, 2007).
Ces pratiques sont bel et bien « l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision et dans leurs réalisations » qui caractérisent la démocratie (à dominante) participative.
Universalité et diversité.
La démocratie (« pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ») est un principe (de gouvernement) universel. Toutefois, elle n’est pas sortie toute armée de la tête de son père, telle Athéna : chaque peuple a son « génie », ses traditions « de gouvernement » et doit donc avoir ses propres solutions et pratiques démocratiques (dominantes).
Et, en vertu même du principe universel de « souveraineté », il faut laisser à chaque peuple le droit de choisir le modèle de démocratie et de développement qui lui soit propre et de le faire évoluer en respectant le contexte (culturel, social, historique) qui lui est propre. En effet, aucun système n’est ni pire ni meilleur dans l’absolu : il est AUTRE. C’est cela la tolérance c’est-à-dire le respect de la différence et le respect de l’autre. Qui qu’il soit. Où qu’il soit.
Et nous n’avons à nous comparer qu’à nous mêmes, afin de pouvoir être meilleurs encore. Et, si dans le contexte globalisé actuel, le partage n’est pas un choix, au « rendez-vous du donner et du recevoir » que le Président L. Senghor appelait de tous ses vœux, chaque peuple doit avoir sa place. Et toute égale légitimité.
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