Affaire Nicolas Kazadi en RDC

Redigé par Tite Gatabazi
Le 31 mai 2025 à 12:52

La convocation de l’ancien ministre des Finances, Nicolas Kazadi, par la justice congolaise pour des faits présumés de « divulgation de secrets d’État » et de « propagation de faux bruits », soulève une onde de stupeur au sein de l’opinion éclairée.

En effet, loin d’être incriminé pour des actes de malversation financière comme certains relais médiatiques prompts à la rumeur l’ont laissé entendre l’ex-argentier de la République se voit poursuivi pour avoir tenu, devant les caméras de la journaliste Paulette Kimuntu, des propos jugés embarrassants, voire déstabilisateurs pour l’actuel pouvoir.

Lors de cette émission, diffusée sur une plateforme numérique à large audience, Nicolas Kazadi s’est livré à une analyse d’une rare franchise sur la gouvernance publique au cours du premier mandat du président Félix Tshisekedi. Il a notamment révélé que cinquante-trois établissements publics avaient été créés au mépris des règles budgétaires élémentaires, en dehors de toute planification, et en pleine année fiscale. Ces entités, souvent sans cadre organique ni dotation initiale, ont pourtant procédé à des recrutements pléthoriques, engloutissant des ressources dans des charges de fonctionnement somptuaires, des missions onéreuses à l’étranger et des avantages personnels démesurés.

Le Procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, a officiellement requis de l’Assemblée nationale la levée des immunités parlementaires de M. Kazadi, désormais député élu de Miabi, afin de permettre l’ouverture d’une instruction judiciaire. Cette demande, lue en séance plénière par le rapporteur Jacques Djoli, semble s’appuyer davantage sur des considérations politiques que sur des infractions pénalement caractérisées.

Car à aucun moment il n’est fait mention d’un quelconque détournement, mais uniquement de propos publics que l’on juge attentatoires à la raison d’État.

Le franc-parler comme acte subversif : plaidoyer pour une parole politique déliée

Ce qui est reproché à Nicolas Kazadi relève en réalité d’une vérité exprimée sans fard sur un mode autocritique, dans un souci manifeste de lucidité patriotique. S’exprimant non pas comme un délateur mais comme un acteur pleinement impliqué dans le système qu’il décrit, l’ancien ministre a fait usage d’un "nous" collectif, soulignant une culture congolaise de la jouissance immédiate et du partage précipité des ressources sans projection ni rigueur. Il ne s’agit donc nullement d’une attaque ciblée contre le chef de l’État ou son parti, mais d’un diagnostic global sur une gouvernance imprégnée d’un certain hédonisme institutionnalisé.

Citant en exemple la fameuse commission de renégociation du contrat sino-congolais, M. Kazadi a dénoncé les 28 millions de dollars distribués en jetons de présence en dehors de tout cadre légal, une pratique symptomatique d’une gestion des finances publiques orientée davantage vers le lucre que vers l’intérêt général. Il a néanmoins tenu à défendre le parti présidentiel, rappelant que l’UDPS ne constitue qu’une minorité dans l’attelage gouvernemental, et que les pratiques décriées transcendent les appartenances partisanes.

Ainsi, qualifier ces propos de "faux bruits" ou de "divulgation de secrets d’État" revient à criminaliser une parole lucide et introspective, tenue dans un cadre de débat public. La délimitation du secret d’État devient ici d’une extrême porosité, si elle sert à censurer toute critique de la gestion publique.

Vers une République punitive ? Quand la parole politique devient une infraction

L’initiative judiciaire à l’encontre de Nicolas Kazadi fait peser une menace sérieuse sur les fondements du débat démocratique en République démocratique du Congo. Dans toute société politique où prévaut l’État de droit, la liberté d’expression constitue un pilier inaliénable, y compris et surtout lorsqu’elle se manifeste au sein de la classe dirigeante elle-même. La démocratie ne se jauge pas à la docilité des discours, mais à la capacité des institutions à absorber la critique sans verser dans l’intimidation judiciaire.

À cet égard, le recours à des qualifications aussi vagues que « propagation de faux bruits » ou « divulgation de secrets » constitue un précédent périlleux, tant pour l’équilibre des pouvoirs que pour l’intégrité du débat public.

Ce flou juridique est l’antichambre des dérives autoritaires, où l’on pourra tour à tour museler l’élu, bâillonner le journaliste, réprimer le militant ou intimider le simple citoyen.

Car aujourd’hui, c’est un député de la majorité présidentielle que l’on menace de poursuite pour avoir parlé trop franchement. Mais demain, ce sera l’opposant, puis le chroniqueur, et bientôt le peuple lui-même, sommé de se taire au nom d’une interprétation hypertrophiée de la raison d’État.

L’histoire, ici comme ailleurs, nous enseigne que lorsque les idées deviennent suspectes et que la parole libre devient un acte de dissidence, la démocratie ne recule pas : elle entre en détention.

La convocation de Nicolas Kazadi par la justice congolaise choque l’opinion éclairée

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