Dynamiques de violence et responsabilités structurelles

Redigé par Tite Gatabazi
Le 25 novembre 2025 à 12:00

Depuis plusieurs années, le Sud-Kivu est le théâtre de violences ciblées contre la communauté banyamulenge, Tutsi congolais, qui soulèvent des interrogations graves quant à la nature et aux finalités de certaines interventions militaires régionales.

Selon un ensemble de rapports, d’analyses sécuritaires et de témoignages recueillis sur le terrain, l’armée burundaise, opérant en coalition avec les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), faciliterait des campagnes aux effets dévastateurs sur cette population.

La coalition intègre ou coopère avec des groupes armés locaux notamment les milices dites « Wazalendo » dont les objectifs se singularisent par la volonté d’exclure, de déposséder et de déraciner les Banyamulenge de leurs territoires ancestraux. Les conséquences de cette alliance sont documentées par des destructions massives de villages (plus de 85 % selon certaines sources), des exactions physiques extrêmes et la spoliation systématique du bétail, ressource vitale pour le mode de vie et la subsistance de la communauté.

Les observateurs soulignent que les méthodes employées par ces forces, lynchages, violences contre les femmes et les enfants, actes de cannibalisme et déplacements forcés révèlent une intentionnalité ciblée sur le groupe ethnique, qui s’inscrit dans un schéma de violence systématique.

Cette dynamique se voit renforcée par l’usage de discours de haine diffusés sur les réseaux sociaux et dans certains médias locaux, connus et tolérés par les autorités burundaises. Par ailleurs, le contrôle économique et la création de blocus humanitaires autour des zones banyamulenge, avec une inflation des prix des vivres atteignant 900 % par rapport aux zones environnantes, attestent d’une stratégie de marginalisation et d’asphyxie planifiée de cette population.

Il apparaît ainsi que la logique militaire invoquée, la neutralisation d’une prétendue menace sécuritaire ne correspond ni à la localisation géographique ni aux objectifs déclarés des opérations, puisque les hauts plateaux banyamulenge sont ciblés directement alors que les zones périphériques et les axes stratégiques plus proches du Burundi demeurent relativement épargnés.

Discours politiques et instrumentalisation de l’Histoire

Les discours officiels tenus par le président burundais, notamment la négation de l’existence des Banyamulenge en tant que groupe ethnique, sont interprétés par les chercheurs comme des instruments rhétoriques servant à légitimer une politique d’exclusion.

En affirmant que les Banyamulenge « n’existent pas comme une ethnie », le président réactive des logiques d’effacement qui rappellent les pratiques coloniales belges visant à délégitimer certaines chefferies. Or, l’histoire documentée démontre que ce groupe a été historiquement persécuté, que ce soit par les autorités congolaises depuis 1996 ou par des milices régionales et qu’il a fait l’objet d’une stigmatisation systématique dans les discours politiques.

Ce refus de reconnaissance s’accompagne d’une instrumentalisation idéologique plus large, fondée sur une dichotomie raciale et ethnolinguistique « Bantous / Nilotiques », popularisée au cours de la période coloniale et remise au goût du jour par certains leaders politiques burundais et congolais.

Selon cette logique, les Tutsi, assimilés aux Nilotiques, seraient considérés comme des ennemis potentiels de la stabilité régionale, justifiant ainsi des stratégies d’élimination ciblées. Les discours de haine qui en découlent sont systématiquement amplifiés dans les médias locaux et sur les plateformes numériques, contribuant à la banalisation de violences graves et à l’adhésion partielle de segments de la population à cette idéologie.

Moyens et méthodes de violence

Les forces burundaises sont accusées d’avoir recours à des méthodes de guerre strictement interdites par le droit international humanitaire. Cela inclut des attaques indiscriminées sur des populations civiles, des violences sexistes systématiques, la mise à famine de communautés entières et l’utilisation de drones militaires depuis des installations burundaises pour frapper des villages banyamulenge.

Ces pratiques, dans le contexte d’une coalition aux intentions présumées génocidaires, révèlent selon de nombreux analystes l’existence d’une volonté d’extermination partielle, ou du moins de destruction d’un groupe ethnique spécifique, ce qui constitue l’un des éléments constitutifs du crime de génocide au regard du droit international.

La sélectivité ethnique de ces opérations est flagrante : seules les zones habitées par les Banyamulenge subissent des blocus et des violences coordonnées, tandis que d’autres groupes ethniques vivant à proximité ; babembe, bafuliru et banyindu ne sont ni ciblés ni soumis aux mêmes restrictions, malgré la présence de multiples groupes armés dans leurs régions.

Ce schéma de ciblage ethnique soutient la thèse selon laquelle la motivation de l’intervention burundaise n’est ni militaire ni sécuritaire, mais profondément politique et ethno-stratégique.

Enjeux régionales et implications géopolitiques

La logique sous-jacente à l’implication du Burundi au Sud-Kivu ne se limite pas à des considérations sécuritaires immédiates. Elle s’inscrit dans un contexte régional complexe, où des alliances économiques et des intérêts familiaux coexistent avec une mythologie politique « bantoue-nilotique » utilisée pour légitimer l’exclusion et la marginalisation des Tutsi.

La diffusion de cette idéologie à travers les discours politiques et les médias locaux contribue à naturaliser les violences et à pérenniser un climat de tension intercommunautaire susceptible de déstabiliser durablement la région. L’implication des forces burundaises dans cette dynamique place la communauté internationale face à des dilemmes de responsabilité, de prévention et d’intervention.

Enfin, les observateurs rappellent que la répétition de violences ciblées sur plus de trente ans, combinée à l’éradication progressive des structures sociales et économiques des Banyamulenge, génère des risques considérables pour la stabilité régionale et constitue un défi majeur pour la justice transitionnelle et la prévention des crimes de masse en Afrique centrale.

L’attention portée à ces dynamiques est essentielle pour comprendre les processus de violence ethno-politique dans la région des Grands Lacs et pour envisager des mesures de protection efficaces pour les populations vulnérables.

Depuis plusieurs années, le Sud-Kivu est le théâtre de violences ciblées contre la communauté banyamulenge

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