Eric Zemmour ou la réhabilitation feutrée de la falsification historique

Redigé par Tite Gatabazi
Le 12 juin 2025 à 09:13

Il est des moments où l’histoire, défigurée par les mains d’habiles rhéteurs, ressurgit dans l’espace public sous les traits altérés du mensonge maquillé.

Le 10 juin 2025, Eric Zemmour, figure centrale de la nébuleuse réactionnaire française, était convoqué devant la justice pour avoir nié la réalité de la déportation des homosexuels français durant la Seconde Guerre mondiale, qualifiant en 2022 ce pan tragique de la mémoire collective de simple « légende ». Cette négation, loin d’être une opinion anodine, constitue en droit français un délit : celui de contestation de crime contre l’humanité.

Mais au-delà de l’épisode judiciaire, c’est un symptôme plus large qui se dessine : la banalisation du négationnisme sous des formes renouvelées, insidieuses, portées non plus par des groupuscules marginaux, mais par des candidats à la présidence, invités avec complaisance sur les antennes d’une certaine presse télévisuelle.

Zemmour, dans la continuité d’un discours entamé depuis des années, persiste à présenter Philippe Pétain non comme le collaborateur actif de la machine d’extermination nazie, mais comme un « sauveur » des juifs français. Cette falsification historique, déjà condamnée, est l’une des pierres angulaires d’une entreprise de réhabilitation du régime de Vichy, entreprise qui s’enracine dans une volonté plus large : celle de réécrire l’histoire pour y effacer les crimes et restaurer une mémoire glorieuse, fictive, au service d’un projet politique autoritaire.

Le négationnisme, dans sa définition classique, nie l’existence ou l’ampleur des crimes contre l’humanité, à commencer par la Shoah. Mais il connaît aujourd’hui des formes mutantes, plus diffuses. Il ne s’agit plus seulement de contester les faits, mais de les relativiser, de les banaliser, de les noyer dans un discours plus vaste sur le « déclin de la civilisation », le « grand remplacement » ou la supposée barbarie contemporaine des banlieues.

Ce négationnisme reconfiguré ne prend plus la forme d’un affrontement frontal avec l’histoire établie, mais d’un brouillage méthodique des repères, d’un enfumage intellectuel qui vise à faire douter, à désorienter, à provoquer.

Ce même jour, Zemmour était l’invité de choix d’un grand média audiovisuel, déroulant à satiété son discours de stigmatisation : l’islam aurait, selon lui, « conquis la Belgique », les supporteurs du PSG seraient des « Barbaresques », terme colonial et péjoratif qui « pillent, volent, et s’ils peuvent violent ».

A Rima Hassan, militante franco-palestinienne, il refuse même l’appartenance au peuple français. Une mécanique rhétorique implacable se déploie : essentialisation de l’autre, criminalisation systématique de certaines populations, glorification d’un passé fantasmé, et falsification de l’histoire nationale pour mieux justifier une idéologie de rejet.

Ce climat de surenchère médiatique et d’oubli programmé inquiète profondément les gardiens de la mémoire. Serge Klarsfeld, inlassable traqueur des criminels nazis, rappelle que la négation du rôle central joué par l’État français dans la déportation des juifs n’a rien de nouveau. Mais ce qui frappe aujourd’hui, c’est l’acceptabilité nouvelle de ce discours dans l’espace public, sa diffusion sur des chaînes d’information continue, son recyclage par des figures en costume-cravate aux allures de candidats républicains. L’extrême droite, qui autrefois rampait dans l’ombre, arbore désormais le masque rutilant de la respectabilité médiatique.

Ce n’est plus seulement la vérité historique qui vacille : c’est la conscience démocratique elle-même qui se trouve assiégée. Car une société qui tolère que le négationnisme s’exprime librement sur ses plateaux télévisés est une société qui renonce à se défendre.

Et il n’est pas de République vivante sans mémoire lucide ni sans refus catégorique de l’impunité morale. Il ne suffit pas de condamner en justice ceux qui réécrivent l’histoire ; encore faut-il leur refuser le micro et contester leur emprise sur l’opinion. Car le négationnisme, qu’il prenne les habits du provocateur cynique ou du tribun populiste, n’est jamais une idée comme une autre : il est la matrice du pire.

Éric Zemmour a été convoqué en justice pour avoir nié en 2022 la déportation des homosexuels français pendant la Seconde Guerre mondiale, qualifiant ce fait historique de « légende »

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