Tandis que les tueries se succèdent avec une constance macabre, que les villages sont décimés, que les linceuls s’accumulent sous les cieux d’Ituri, de Beni ou du Kasaï, le gouvernement congolais, censé être le garant de l’intégrité territoriale et de la protection des citoyens, oppose à la tragédie nationale un silence pétrifiant.
Ce mutisme coupable, cette désinvolture institutionnelle devant l’innommable, trahit moins l’impuissance que le renoncement. À défaut de nommer clairement les auteurs, d’élucider les motivations, de traduire les commanditaires devant la justice, les autorités entretiennent une opacité complice, une neutralité assassine.
Pendant ce temps, la CENCO, seule voix encore audible dans le vacarme du malheur, ose interroger ce que le pouvoir tait : ces crimes, organisés dans la durée, industrialisés dans la méthode, bénéficient à des intérêts occultes, à des réseaux de prédation économique et d’ingénierie géopolitique, pour lesquels la désolation des peuples constitue une opportunité stratégique.
Ainsi s’installe, dans l’impunité érigée en système, une géographie du carnage dont la matrice demeure soigneusement dissimulée. Et l’Église, en se faisant l’écho du sang versé, refuse de laisser sombrer dans l’oubli ceux que l’État a abandonnés à la mort.
Une fois encore, la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) élève la voix. Fidèle à sa vocation prophétique, elle s’insurge contre l’insoutenable permanence du mal et la désespérante démission de l’État. Elle parle, non comme une institution politique, mais comme la conscience d’un peuple supplicié, transpercé dans sa chair comme dans son âme.
Tandis que le pouvoir civil se barricade dans les salons dorés de l’opulence et de la suffisance, l’Église, elle, descend dans les bas-fonds de la souffrance, recueille les lamentations, porte les corps, accompagne les deuils. Elle ne parle pas d’une chaire surplombante, mais d’un Golgotha national où le Christ est sans cesse crucifié dans le visage mutilé des enfants de l’Ituri, du Nord-Kivu, de Minembwe ou de Beni.
Dans un pays dont les entrailles regorgent de richesses minérales que le monde entier convoite, il est une obscénité que la majorité de ses citoyens vivent sans eau, sans sécurité, sans justice. L’indifférence des autorités devant les tueries récurrentes, perpétrées avec une régularité chirurgicale, ne relève plus de la simple incompétence : elle confine à la complicité.
La CENCO le dit avec les mots de l’Évangile, mais le monde le perçoit avec l’effroi du droit : l’État congolais abdique sa mission régalienne et trahit son pacte avec la nation.
Tuer sans nommer : l’art de l’impunité institutionnalisée
Ce qui sidère et scandalise, ce n’est pas seulement la répétition des massacres, mais l’incapacité, feinte ou réelle, des autorités à en désigner les auteurs avec précision. Les sigles défilent : FDLR, ADF, MTM, ISCAP, islamistes, rebelles, mercenaires, milices locales ou transfrontalières.
Les entités responsables sont brandies à la manière de paravents commodes, sans que jamais une enquête sérieuse, une arrestation significative, une explication rationnelle ne vienne apaiser la douleur ou restaurer la confiance. Qui tue ? Pourquoi ? Pour quel dessein stratégique ou géopolitique ? À ces questions légitimes, l’État oppose un silence creux ou des formules creuses, laissant les cadavres s’amonceler dans l’indifférence bureaucratique.
Derrière cette stratégie de brouillage, se dissimule une réalité plus glaçante encore : le chaos sécuritaire est devenu une rente politique. Le sang versé sert d’alibi à la militarisation du territoire, à la prolongation indéfinie de l’état de siège, à l’extension des zones d’exploitation incontrôlées. Il profite à des circuits mafieux où s’entrelacent intérêts locaux et complicités nationales. La guerre, ici, n’est pas un accident : elle est un système.
À qui profite le crime ? La question qui dérange
Dans son interpellation, la CENCO ose formuler la question qui dérange et que tout pouvoir responsable devrait affronter : à qui profite le crime ? Cette question, trop souvent éludée, est pourtant celle qui devrait orienter toute investigation digne de ce nom. Car si les tueries continuent, c’est qu’elles servent des desseins. Si les auteurs ne sont jamais arrêtés, c’est que leur identification gêne des intérêts puissants. Si les populations sont laissées sans protection, c’est que leur vulnérabilité arrange les stratégies de prédation. Dès lors, l’enjeu n’est plus simplement sécuritaire : il est moral, civilisationnel, existentiel.
Il revient aux autorités congolaises de comprendre que l’impunité n’est pas une neutralité : elle est une prise de parti. Ne rien faire face à l’horreur, c’est se ranger du côté de ceux qui l’organisent. Et pendant que le pouvoir se tait, l’Église parle. Elle ne possède ni armée ni budget, mais elle dispose d’une légitimité que nulle élection ne confère : celle de se tenir au plus près des crucifiés de l’Histoire. Là où l’État se dérobe, la croix se dresse. Et c’est au pied de cette croix que la conscience congolaise, un jour, jugera les siens.

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