Cette formation politico-militaire historiquement stigmatisée a redessiné en profondeur les lignes de fracture traditionnelles. Loin d’être marginalisé, le M23, sous la direction renouvelée de Bertrand Bisimwa et du Général Sultani Makenga semble aujourd’hui incarner une forme de « stabilisateur paradoxal », dont la présence sur le terrain impose, de facto, un nouveau rapport de force.
Ce retournement stratégique, que certains décriraient comme une réhabilitation tacite, illustre le pragmatisme ambiant d’un moment politique où la paix, même précaire, semble primer sur les exigences de justice immédiate. L’AFC, en légitimant cette alliance, a opéré un transfert subtil : transformer un groupe armé autrefois perçu comme sécessionniste en acteur incontournable du règlement politique. Cette évolution traduit, en creux, l’échec répété de Kinshasa à imposer un ordre étatique durable dans la région, et l’incapacité des processus de DDR (désarmement, démobilisation et réintégration) à apporter des réponses viables aux frustrations structurelles des communautés de l’Est.
Le retour de Joseph Kabila : entre restauration d’un réseau et recomposition silencieuse du pouvoir
Le retour sur le devant de la scène de Joseph Kabila, ancien président longtemps resté dans une réserve énigmatique, revêt une signification politique plurielle. D’abord, il témoigne d’une recomposition discrète mais résolue des anciens réseaux kabilistes, qui avaient été éclipsés mais non éradiqués à la faveur de l’alternance de 2018. La présence de figures telles que Kikaya Bin Karubi ou Me Moïse Nyarugabo, tous deux associés à l’ancienne gouvernance, ne relève pas d’un simple effet de casting : elle signale la remise en marche d’un appareil politique structuré, doté d’une mémoire du pouvoir, d’une maîtrise des logiques territoriales et d’une capacité d’influence encore intacte.
Cette stratégie de retour s’opère sous un double registre. D’une part, elle se présente comme un engagement pour la stabilité, comme en témoignent les multiples concertations tenues de Goma, lieu emblématique de dialogue, de mémoire et de religiosité. D’autre part, elle s’inscrit dans une logique de légitimation par le bas, où le contact direct avec les notables coutumiers, les responsables ecclésiastiques et les composantes de la société civile vient suppléer une absence formelle de mandat électif. Ce processus, quasi pastoral, vise à redonner une figure paternelle à la région, dans une tradition politique congolaise marquée par la personnalisation des rapports de pouvoir.
Justice, réconciliation, refondation : l’ultime horizon d’un renouveau espéré
Le défi majeur auquel se confronte cette tentative de recomposition est d’ordre éthique et institutionnel : comment prétendre ouvrir une ère nouvelle sans affronter les contentieux du passé ? Car l’Est de la République démocratique du Congo est un théâtre saturé de mémoire traumatique : persécutions des tutsi congolais, massacres de civils, pillages systématiques, violences sexuelles utilisées comme armes de guerre, déplacements massifs de populations. L’oubli n’est pas une option, et la paix ne saurait être réduite à un simple cessez-le-feu.
La reconstruction politique exige donc, en préalable, une démarche de vérité et de reconnaissance des souffrances infligées. Il ne s’agit pas seulement d’un impératif moral, mais d’un fondement juridique et politique sans lequel tout pacte social durable reste illusoire. Or, les arrangements entre acteurs armés et anciens détenteurs du pouvoir risquent, s’ils ne sont pas encadrés par un processus transparent, de renforcer le cynisme d’une population déjà profondément désabusée.
En outre, la refondation de l’État dans l’Est requiert une réforme institutionnelle ambitieuse : déconcentration réelle des pouvoirs, renforcement de la justice locale, relance des services publics essentiels, intégration des groupes armés dans un schéma clair de démobilisation et de reddition des comptes.
Aussi vertueuse soit-elle en apparence, toute paix issue de la seule négociation politique, déconnectée des réalités socio-économiques et des attentes fondamentales des populations locales demeure intrinsèquement fragile et exposée aux résurgences cycliques de la conflictualité.
Tant que les causes profondes qui alimentent la violence et la défiance à savoir les disparités foncières criantes, l’exclusion systémique des communautés des mécanismes de décision, ainsi que la prédation endémique des ressources naturelles par des élites prédatrices et des acteurs transnationaux ne feront pas l’objet d’un traitement structurel, toute stabilisation apparaîtra comme un artifice transitoire, masquant les lignes de fracture persistantes qui minent le corps politique congolais.
La paix véritable, pour être pérenne, ne saurait se réduire à une simple cessation des hostilités : elle exige une redistribution équitable des opportunités, une reconfiguration inclusive du pouvoir et une gouvernance vertueuse des biens communs faute de quoi, les mêmes causes engendreront inlassablement les mêmes effets délétères.
Le moment politique que traverse Goma porte en lui les germes d’une transformation profonde, mais aussi les stigmates d’un passé non résolu. Le tandem AFC/M23 et le retour du kabilisme régionalisé constituent, certes, une configuration nouvelle, mais encore ambiguë. Si elle se contente de stabiliser l’ordre existant sans le réformer en profondeur, cette dynamique ne fera que différer l’éclatement inévitable des contradictions structurelles.
Si en revanche elle s’accompagne d’un processus de vérité, de justice, et de refondation inclusive, alors peut-être verra-t-on, pour la première fois depuis trois décennies, se dessiner à l’horizon les contours d’une paix véritablement durable.

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