Ce que l’on observe autour des nouvelles sanctions à l’encontre de la Russie n’est pas un simple différend technique sur le plafonnement du prix du pétrole, mais le symptôme d’une dislocation plus profonde : celle d’une Europe morcelée, empêtrée dans ses divisions internes, et progressivement reléguée au rang d’acteur périphérique dans la conduite des affaires du monde.
À la veille d’un sommet européen à très haute teneur symbolique, le dernier train de sanctions destiné à restreindre les capacités économiques du Kremlin s’enlise dans les méandres d’un désaccord politique entre États membres, révélant deux lignes de fracture majeures.
La première, et non des moindres, touche au plafonnement du prix du pétrole brut russe acheminé par voie maritime. La Commission européenne avait suggéré de ramener ce plafond de 60 à 45 dollars le baril, espérant ainsi amputer davantage les revenus énergétiques de Moscou, encore largement mobilisés pour financer son offensive contre l’Ukraine.
Mais cette mesure, élaborée en coordination avec le G7 et les États-Unis, se heurte aujourd’hui à une double résistance : celle, d’une part, d’un nombre croissant de capitales européennes réticentes à toute nouvelle escalade sans garantie de convergence transatlantique ; celle, d’autre part, d’une Maison-Blanche désormais sous l’égide de Donald Trump, dont l’unilatéralisme notoire reconfigure brutalement la posture occidentale face à la Russie.
La récente défection du président américain au sommet du G7 au Canada où il a quitté les lieux avant même la fin des travaux et son indifférence affichée aux appels de Kyiv ont exacerbé le désarroi européen. Sa proposition vague d’un cessez-le-feu de 30 jours, rejetée par le Kremlin, apparaît davantage comme une posture médiatique que comme un projet diplomatique sérieux.
Dans ce contexte, l’UE semble suspendue dans un vide stratégique : agir seule au risque de diviser davantage ses membres, ou patienter dans une expectative paralysante qui entame sa crédibilité. Ursula von der Leyen, pourtant souvent perçue comme l’incarnation d’une Commission volontariste, a surpris nombre d’observateurs en minimisant l’urgence de la révision du prix-plafond.
Prétextant les tensions croissantes entre l’Iran et Israël, lesquelles auraient entraîné une hausse générale des prix pétroliers elle a argué que le plafond actuel continuait de remplir sa fonction, malgré son efficacité plus que discutable.
Cette ligne prudente s’oppose frontalement à celle, plus déterminée, de la Haute représentante Kaja Kallas, qui défend avec fermeté l’abaissement du seuil à 45 dollars. Pour elle, il est inacceptable que Moscou profite de la flambée énergétique engendrée par les conflits au Moyen-Orient pour engranger des profits qui alimentent l’agression en Ukraine. « Il n’est pas bon que la Russie profite de cette guerre au Moyen-Orient pour financer la sienne », a-t-elle déclaré, soulignant à demi-mot l’aveuglement volontaire de certains partenaires européens.
Ce désaccord entre Von der Leyen et Kallas illustre une vérité plus large : l’Europe, loin d’être unie dans ses orientations géopolitiques, est minée par des logiques centrifuges alimentées par la montée des extrêmes droites populistes dans plusieurs États membres. Ces gouvernements, souvent europhobes, flirtent ouvertement avec des postures ambiguës sur la Russie, fragilisant tout consensus stratégique.
Mais au-delà de la question pétrolière, c’est l’ensemble de l’édifice européen qui semble perdre sa cohérence d’action. Les dissonances sur le soutien à l’Ukraine, les divisions sur le conflit israélo-iranien, l’absence de politique claire sur la Chine ou encore l’incapacité à proposer une réponse unifiée aux défis migratoires, traduisent l’affaiblissement progressif de l’idée européenne elle-même.
L’Union européenne, dans son rêve d’autonomie stratégique, peine à parler d’une seule voix et par là même, à se faire entendre sur la scène internationale. La désunion ne fait plus seulement obstacle à des décisions ponctuelles ; elle sape les fondations mêmes du projet européen comme acteur géopolitique majeur.
Et dans un monde où les plaques tectoniques du pouvoir se déplacent sans cesse, cette impuissance collective pourrait bien reléguer l’Europe au rang de simple spectatrice, contemplant l’Histoire en train de se faire… sans elle.

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