L’obsession comme substitut de la pensée en RDC

Redigé par Tite Gatabazi
Le 22 décembre 2025 à 10:29

A Kinshasa, le Rwanda a cessé d’être perçu comme un voisin inscrit dans une géographie politique rationnelle ; il est devenu un objet fantasmatique, presque hallucinatoire, invoqué à la moindre contrariété comme on invoque un principe occulte censé expliquer toutes les impuissances internes.

Cette dérive intellectuelle, profondément préoccupante, confond analyse géopolitique et réflexe pavlovien, jusqu’à ériger l’obsession en grille unique de lecture du réel.

Depuis la résurgence du M23 en 2021, la référence incantatoire au Rwanda s’est progressivement muée en une véritable pathologie collective. Elle s’impose comme un passage obligé, un rite de légitimation politique : il faut accuser, dénoncer, désigner, sous peine d’être disqualifié comme insuffisamment « patriote ».

Ainsi s’installe une gangrène mentale, insidieuse et corrosive, qui transforme chaque fait divers, chaque revers administratif, chaque échec structurel en complot étranger, sans que beaucoup ne mesurent la profondeur de cette dérive.

La faillite idéologique du pouvoir

Cette propension à ériger le bouc émissaire en principe de gouvernement constitue la preuve la plus achevée de la faillite idéologique de ceux qui dirigent. Incapables de produire un récit politique fondé sur la vérité, la responsabilité et la lucidité, ils se réfugient dans l’accusation extérieure comme dans un exutoire commode.

La haine obsessionnelle devient alors un substitut à l’action publique, et l’indignation permanente tient lieu de programme politique.

Or, on ne bâtit pas une nation sur la désignation compulsive d’ennemis, réels ou supposés, mais sur l’acceptation courageuse de ses propres failles. La transformation du Rwanda en cause universelle de tous les maux n’est pas seulement une erreur analytique ; elle est une impasse morale et stratégique. Elle dispense de l’effort d’introspection, de la réforme des institutions, de la lutte effective contre la corruption, l’incompétence et la prédation des ressources publiques.

Ce discours obsessionnel anesthésie la pensée critique, disqualifie toute nuance et enferme la société dans une posture victimaire stérile. Le réveil, inévitable, n’en sera que plus brutal mais peut-être, à terme, salutaire et thérapeutique, tant il est vrai que certaines illusions doivent s’effondrer pour que la lucidité advienne.

Blâmer n’est pas gouverner

Blâmer, accuser, désigner un responsable extérieur ne résout aucun problème structurel. Le blâme permanent n’a jamais construit d’État, restauré une économie ni rétabli la dignité des citoyens. Il soulage momentanément les consciences, mais il retarde durablement les solutions.

Une nation ne se relève ni par l’invective ni par l’obsession, mais par la vérité, la responsabilité et le courage intellectuel de regarder en face ses propres manquements.

Tant que l’accusation tiendra lieu de politique publique, les causes réelles des crises demeureront intactes et les crises, elles, continueront de prospérer.

À Kinshasa, le Rwanda n’est plus perçu comme un voisin rationnel, mais comme un bouc émissaire fantasmatique, invoqué pour expliquer toutes les défaillances internes

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