La voie médiane selon Macron

Redigé par Tite Gatabazi
Le 27 mai 2025 à 01:49

En visite officielle en Asie du Sud-Est, le président Emmanuel Macron a déployé, avec l’emphase qui le caractérise, une rhétorique ambitieuse et volontiers critique, visant à tracer les contours d’une troisième voie dans un monde emporté par les logiques de surenchère des grandes puissances.

Devant un auditoire d’étudiants vietnamiens réunis à l’Université des sciences et techniques de Hanoï, il a dressé un tableau sans fard d’un ordre international en voie de dislocation, malmené par la "désinhibition des superpuissances", concept saisissant qu’il a érigé en clé de lecture du désordre stratégique actuel.

Un monde livré à l’arbitraire des géants

Dénonçant à mots à peine voilés les emportements douaniers de l’administration américaine, qui impose ses tarifs au gré des fluctuations matinales de l’humeur présidentielle, tout autant que les revendications expansionnistes de la Chine en mer de Chine méridionale, le chef de l’État français a tiré la sonnette d’alarme. Il s’est inquiété d’une conflictualité croissante entre Washington et Pékin, dont le bras de fer stratégique projette son ombre menaçante sur toute la région indo-pacifique, faisant peser la menace d’un embrasement à plus vaste échelle.

Dans ce contexte de dérive des grands équilibres, Macron a rappelé que certaines puissances, pourtant membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, ne s’embarrassaient plus du respect du droit international, foulant aux pieds les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale.

L’allusion à la Russie était transparente, mais le propos visait plus largement cette ère nouvelle d’un cynisme décomplexé, où la force prime sur le droit et la stratégie l’emporte sur l’éthique.

La stratégie indopacifique : le pari d’une souveraineté partagée

Conscient de la position relative de la France sur l’échiquier mondial, Macron n’en a pas moins affirmé l’ambition de son pays à jouer un rôle moteur dans la recomposition des alliances, non en se rangeant sous la bannière d’un camp, mais en offrant aux nations de la région une alternative crédible à la bipolarisation croissante. C’est le cœur de sa doctrine dite "indopacifique" : proposer un chemin commun d’autonomie stratégique, de coopération équitable, et de respect mutuel, afin que ni Washington ni Pékin ne puissent imposer seuls leur loi à l’ensemble du continent asiatique.

Ce discours, s’il peut apparaître idéaliste, se veut porteur d’une promesse concrète : celle d’un partenariat équilibré, fondé sur l’innovation, la défense partagée et la souveraineté économique. A preuve, la signature d’accords commerciaux et industriels pour un montant avoisinant les neuf milliards d’euros au Vietnam, notamment avec Airbus, ainsi que des négociations avancées en Indonésie dans les domaines stratégiques de la défense, de l’énergie et des minerais critiques.

A travers cette diplomatie du contrat, la France entend démontrer que ses ambitions géopolitiques sont soutenues par des leviers économiques tangibles.

Une critique du populisme numérique et de la désintégration du débat

Mais au-delà des enjeux géostratégiques, c’est à une méditation sur la condition contemporaine que le président s’est livré, mettant en garde les jeunes générations contre les sirènes de la facilité numérique. Dans un réquisitoire inattendu mais vigoureux contre les réseaux sociaux, qu’il qualifie sans ambages de "monde d’imbéciles", il a dénoncé l’illusion d’une toute-puissance démocratique dégénérée, où la moindre invective anonyme sur Twitter prétend faire vaciller l’autorité du savoir et la légitimité de la pensée.

En exaltant la nécessité du doute, de la rigueur intellectuelle et de la controverse respectueuse, Emmanuel Macron a livré un plaidoyer pour une société fondée sur la raison plutôt que sur l’instantanéité. Une manière habile, mais risquée, de rappeler à des étudiants vietnamiens, dans un pays où la censure d’État reste sévère, que la liberté de penser ne saurait être réduite au bavardage désinhibé du numérique, sans tomber toutefois dans le piège d’une complaisance autoritaire.

La France entre deux géants, ou la diplomatie de l’équilibrisme

Il faut reconnaître à Emmanuel Macron une constance certaine dans sa volonté de positionner la France comme une puissance d’équilibre, non alignée mais active, entre le chaos américain et l’hégémonie chinoise. Cette posture, nourrie d’un gaullisme revu à l’aune de la mondialisation contemporaine, aspire à restaurer la pertinence du multilatéralisme et à réhabiliter la voix des puissances moyennes dans un monde fracturé.

Cependant, cette ambition se heurte à une réalité parfois implacable : celle d’une Europe désunie, d’une France économiquement dépendante de ses partenaires transatlantiques, et d’une Asie profondément marquée par la logique des sphères d’influence.

Le volontarisme présidentiel suffira-t-il à faire exister une troisième voie dans un monde binaire ? Ou bien cette stratégie d’indépendance raisonnée ne sera-t-elle qu’un noble mirage dans la tourmente des empires ?

L’avenir dira si le pari d’Emmanuel Macron relève de la clairvoyance politique ou de l’illusion stratégique. Mais en ces temps d’effritement du droit et de brutalisation du monde, l’effort de pensée mérite, à tout le moins, d’être salué.

En visite officielle en Asie du Sud-Est, le président Emmanuel Macron a déployé une rhétorique ambitieuse et volontiers critique

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