Une lecture fallacieuse de l’histoire linguistique et identitaire
L’assertion selon laquelle la présence des swahiliphones à Kinshasa serait menacée ne saurait être reléguée au rang de simple exagération rhétorique. En effet, si le swahili demeure, de manière historique et intrinsèque, une lingua franca des régions de l’Afrique des Grands Lacs et de l’Afrique de l’Est, son usage dans la capitale congolaise est aujourd’hui l’objet d’une stigmatisation croissante. Ce phénomène, loin d’être fortuit, procède d’un climat délétère où la langue devient l’instrument d’une vindicte politique insidieuse.
En représailles contre l’ancien président Joseph Kabila, dont les relations avec son successeur se sont considérablement détériorées, les locuteurs du swahili sont désormais la cible d’exactions larvées et d’un ostracisme manifeste. Cette dynamique répressive, empreinte d’une logique de règlement de comptes, traduit une dérive préoccupante où l’identité linguistique se trouve assimilée à une allégeance politique supposée.
Dans les rues de Kinshasa, parler swahili expose de plus en plus à des vexations, voire à des brimades, symptomatiques d’une volonté de marginalisation progressive de cette communauté linguistique.Ainsi, bien loin d’une simple instrumentalisation alarmiste de l’histoire, il apparaît que l’affaiblissement du swahili à Kinshasa procède d’une réalité tangible et préoccupante : celle d’une persécution sournoise, ancrée dans les luttes de pouvoir et la recomposition des rapports de force au sommet de l’État.
Par ailleurs, la notion de « Rwandophonie » avancée par le Vice-ministre, censée désigner une prétendue entreprise de subversion linguistique orchestrée par le Rwanda dans l’optique de semer le trouble parmi les populations hutu, relève d’une construction fallacieuse dépourvue de toute assise scientifique.
Sa terminologie, articulée autour du concept de kihutu, ne saurait dissimuler son essence idéologique, laquelle procède d’une lecture réductrice et déformée des dynamiques historiques et sociolinguistiques qui façonnent la région des Grands Lacs.
Loin d’être le fruit d’une démarche analytique rigoureuse, elle s’apparente davantage à une rhétorique de la division, visant à essentialiser les clivages identitaires et à perpétuer les antagonismes hérités d’un passé marqué par les instrumentalisations ethnopolitiques.
Son discours s’inscrit dans le sillage de l’héritage trouble du Magrivi (Mutuelle des Agriculteurs des Virunga), organisation fondée et financée sous l’égide du régime de Juvénal Habyarimana, dont la finalité inavouée consistait à distiller, à l’Est de la République Démocratique du Congo, l’idéologie pernicieuse du Parmehutu.
En insufflant insidieusement un discours de suprématie ethnocentrée, ce mouvement a contribué à l’ancrage d’une vision dogmatique et clivante des identités communautaires, dont les répercussions continuent de hanter la région à ce jour. Dès lors, la résurgence de telles terminologies ne saurait être perçue autrement que comme une réactivation d’anciens schèmes idéologiques délétères, destinés à alimenter une mécanique d’exclusion et de rejet, au détriment d’une lecture lucide et apaisée de l’histoire régionale.
Une occultation intentionnelle des réalités sociologiques
En adoptant une posture exclusivement centrée sur la communauté hutu, le Ministre Ndeze Katurebe procède à une lecture tronquée et réductrice de la sociologie du Bwisha et, plus largement, du Nord-Kivu. Cette approche sectaire méconnaît la pluralité des groupes qui composent cette région, notamment les hutu, les tutsi et les twa, qui, bien que distincts sur le plan identitaire, partagent un socle linguistique commun, le kinyarwanda.
L’histoire précoloniale et les travaux académiques les plus sérieux attestent sans ambiguïté de l’enracinement ancestral de ces différentes composantes au sein du territoire congolais. En occultant ces réalités factuelles, le Vice-ministre participe à une entreprise de falsification historique, susceptible d’exacerber les tensions intercommunautaires et d’attiser les antagonismes identitaires dans une région déjà en proie à de profondes fractures sociales.
Une manipulation juridique et politique préjudiciable à la cohésion nationale
L’omission volontaire de certaines communautés dans le discours du Vice-ministre n’est pas sans conséquences juridiques et politiques. La Constitution de la République Démocratique du Congo reconnaît explicitement les droits inaliénables de chaque citoyen, notamment en ce qui concerne l’usage et la préservation de sa langue maternelle. En insinuant que le kinyarwanda serait une construction exogène ou une stratégie d’infiltration linguistique, le Vice-ministre porte atteinte aux principes fondamentaux d’équité et d’inclusion consacrés par le droit congolais.
L’instrumentalisation de l’histoire et de la sociologie à des fins de réduction des droits de certaines populations constitue une dérive dangereuse qui menace la stabilité nationale. Dans un contexte marqué par des conflits récurrents dans l’Est du pays, il incombe aux dirigeants de promouvoir une approche unificatrice et apaisée plutôt que de perpétuer des discours d’exclusion, porteurs de division et déstructeurs du tissu social.
Vers une redéfinition inclusive et harmonieuse des identités nationales
Il est impératif d’adopter une posture plus rigoureuse et plus respectueuse de la diversité culturelle et linguistique qui caractérise la RDC.
A l’instar du lingala, du kikongo et du tshiluba, le kinyarwanda fait partie du patrimoine immatériel national et doit être reconnu comme tel.
L’exemple ougandais, où les Bafumbira revendiquent avec fierté le kinyarwanda comme leur langue sans que cela ne constitue un ferment de division, devrait inspirer une réflexion constructive. Loin d’être une entrave à l’unité nationale, la reconnaissance des diversités linguistiques et culturelles constitue un atout majeur pour la consolidation de la cohésion sociale et le renforcement du sentiment d’appartenance collective.
L’histoire, la sociologie et le droit doivent demeurer les piliers de toute gouvernance soucieuse de justice et d’équité. Il appartient aux décideurs politiques congolais de promouvoir une dynamique d’inclusion et de reconnaissance des identités plurielles plutôt que de s’abandonner à des logiques de fragmentation et d’exclusion.
Plutôt que de s’employer à distiller une rhétorique clivante, il est urgent d’engager un dialogue sincère et constructif, seule voie viable pour l’édification d’une nation forte, unie et résolument tournée vers un avenir de prospérité partagée.

AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!