Le lent et sinueux parcours de la paix

Redigé par Tite Gatabazi
Le 27 mai 2025 à 01:17

Il est des sociétés meurtries qui, au lendemain des cataclysmes, vacillent entre la tentation de l’oubli et l’exigence de la vérité. Dans les ruines encore fumantes de la violence, là où les mémoires blessées se débattent contre le silence, s’ouvre le long et tortueux chemin de la paix. Non point la paix factice des traités sans âme, mais celle, profonde et durable, qui ne peut éclore que dans la clairvoyance, la justice et l’aveu lucide du mal.

Il faut le dire avec gravité : il n’est pas de réconciliation véritable sans confrontation avec l’histoire, sans courage moral face à l’innommable. Il ne s’agit point de raviver les plaies dans une posture revancharde, mais de les nommer, de les cerner, de leur restituer leur vérité nue. Car ce n’est qu’en désignant le mal pour ce qu’il a été, systémique, intentionnel, destructeur, que l’on pourra en conjurer les résurgences et bâtir un vivre-ensemble affranchi des hypocrisies.

Accepter de se regarder en face, c’est renoncer aux conforts du déni et aux compromissions de circonstance. C’est refuser le travestissement des responsabilités sous les oripeaux de l’oubli ou du relativisme. Le pardon, s’il doit advenir, ne peut être exigé en préalable ; il ne fleurit que sur le terreau de la reconnaissance des fautes et de la réparation. Il faut que les voix étouffées retrouvent leur place dans le récit collectif, que les bourreaux soient nommés sans ambages, que les victimes soient rendues à leur dignité.

La lucidité n’est pas vengeance. Elle est la condition d’une justice authentique. Or, cette justice, pour être opérante, doit être libérée des entraves de l’opportunisme politique, de la diplomatie cynique et des calculs géostratégiques.

Le devoir de vérité est une exigence éthique, non une variable d’ajustement. Il incombe à chaque acteur qu’il soit institutionnel, politique ou intellectuel de contribuer à cet effort de mémoire active, de déconstruction des mythes mensongers et de mise en lumière des responsabilités.

Car il ne suffit pas de déclarer une page tournée ; encore faut-il en avoir lu les lignes noires, en avoir mesuré la teneur tragique, et en tirer les leçons nécessaires. L’oubli n’est jamais neutre : il est l’allié sournois de la récidive. À rebours des amnisties de façade, c’est dans l’exigence de réparation que se dessinent les bases d’un nouveau contrat social. Une société ne renaît que lorsqu’elle assume l’intégralité de son passé, y compris ses abîmes.

Le vivre-ensemble, ce mot trop souvent galvaudé, n’est pas un slogan. Il est un horizon exigeant, qui appelle un travail de vérité, un effort de justice, une éthique de la responsabilité. Il suppose une volonté partagée de désamorcer les haines, de désarmer les récits falsifiés, et d’ériger la mémoire comme un socle, non comme un fardeau.

En ces temps de confusion morale et de réécriture sourde des drames passés, il devient impératif de rappeler que la paix véritable n’est pas l’absence de conflit, mais la présence de la justice. Elle ne s’installe pas dans le silence des cimetières, mais dans la clarté des consciences.

Il faut pour cela du courage non celui des armes, mais celui de la parole droite, de la vérité nue, de la réparation intransigeante.

C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que l’on pourra espérer fonder une société réconciliée, capable de se redresser dans l’honneur, et d’offrir aux générations à venir non le poids des silences coupables, mais l’héritage d’une dignité retrouvée.

Dans les ruines encore fumantes de la violence s’ouvre le long et tortueux chemin de la paix

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