Repenser la transition post-conflit dans le Kivu

Redigé par Tite Gatabazi
Le 27 mai 2025 à 12:13

Si le Mouvement du 23 mars (M23) est né, c’est en réponse à une profonde frustration politique et humaine, fruit d’une privation systématique de droits fondamentaux, de discriminations récurrentes et de persécutions institutionnalisées. Ce combat, qui plonge ses racines dans une histoire de marginalisation et de déni, ne saurait être trahi ou oublié.

Il constitue l’humus moral et politique d’un engagement collectif dont les sacrifices consentis exigent une fidélité inébranlable à la cause initiale. Le souvenir de ces souffrances, autant que la lucidité sur les enjeux à venir, doit habiter chaque décision, comme l’air que l’on respire.

Dans ces terres tourmentées du Kivu, où les plaies de la guerre continuent de suppurer sous les apparences fragiles d’un calme précaire, repenser la transition post-conflit exige bien davantage qu’un agencement technocratique de mesures de sécurité ou qu’un simple ajustement institutionnel. Il s’agit, au contraire, d’un processus éminemment politique et moral, qui suppose une refondation des fondements mêmes du vivre-ensemble.

Cette transition ne saurait être viable si elle ne s’enracine pas dans la dignité restaurée des populations meurtries, dans la mémoire assumée des violences subies, et dans la légitimité reconstruite des acteurs engagés dans la quête d’une paix authentique. La dignité implique ici la reconnaissance pleine et entière de l’humanité de ceux qui furent relégués aux marges du droit et de l’attention publique ; elle suppose que les humiliations, les déplacements forcés, les massacres, les expropriations et les exclusions cessent d’être traités comme des variables d’ajustement géopolitique.

La mémoire, quant à elle, ne peut être éludée ni reléguée aux oubliettes de l’histoire officielle : elle constitue le socle d’un travail de vérité sans lequel aucune réconciliation ne peut advenir. Il faut la porter avec gravité, non pour rouvrir les blessures, mais pour en comprendre les causes profondes et y opposer des réponses fondées sur la justice.

Enfin, la légitimité ne se décrète pas : elle se conquiert par l’ancrage populaire, la responsabilité politique et la capacité à incarner une vision inclusive de l’avenir. Dans le Kivu, toute transition qui ferait l’économie de ces trois piliers, dignité, mémoire et légitimité ne serait qu’un simulacre de paix, voué à être balayé par les vents du ressentiment, de l’injustice et de l’inachèvement historique.

Dès lors, la sortie de l’état de violence ne peut être réduite à une simple suspension des hostilités. Elle doit s’inscrire dans une transition rigoureusement encadrée, conduisant à un ordre nouveau, stable, reconnu et légitime. Cela requiert d’abord une sécurisation effective et durable des zones sensibles, afin de prévenir toute résurgence des tensions. Le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) des combattants constituent également un pilier central de cette pacification, à condition qu’il s’opère dans le respect de la dignité des anciens belligérants et qu’il s’accompagne de garanties institutionnelles crédibles.

La paix véritable suppose également une reconnaissance mutuelle des acteurs en présence : nul dialogue ne peut émerger sans la légitimation réciproque des protagonistes du conflit. Dans cette perspective, l’AFC/M23, en tant qu’organisation dotée d’un ancrage territorial et d’une légitimité historique, doit devenir le pivot d’un dialogue franc, sincère et structuré, capable d’ouvrir une voie crédible vers la réconciliation. Il est essentiel que ce processus s’appuie sur des interlocuteurs représentatifs, stables et dotés d’une autorité politique avérée : sans un tel leadership, toute tentative de médiation sombrera dans l’inconsistance.

À cette exigence de dialogue s’ajoute celle de la justice transitionnelle, non comme instrument de revanche, mais comme vecteur de reconnaissance, de réparation et de vérité. Car sans une volonté politique partagée de rompre avec la logique de guerre, aucun accord, aussi habilement négocié soit-il, ne saurait produire de paix durable. Il ne s’agit pas uniquement d’imposer la paix depuis le sommet de l’appareil étatique ; il s’agit de l’enraciner dans la conscience collective, de l’inscrire dans l’intime conviction des populations que le vivre-ensemble est non seulement possible, mais nécessaire.

Cette dynamique ne pourra s’imposer qu’à la condition d’un traitement rigoureux et sincère des causes profondes du conflit : exclusion politique, inégalités structurelles, impunité, confiscation du pouvoir, marginalisation de certaines communautés.

Il faut également reconnaître les blessures infligées : la mémoire des victimes, les réparations, la reconnaissance officielle des souffrances subies, doivent s’inscrire au cœur du processus de réconciliation. C’est à ce prix que l’on pourra reconstruire un socle moral commun, base indispensable de toute communauté politique pacifiée.

Enfin, la restauration de l’autorité de l’État, dans ses fonctions régaliennes comme dans ses services de base (justice, sécurité, santé, éducation), apparaît comme un impératif stratégique. La paix ne saurait s’imposer là où règne l’arbitraire ou l’abandon. Il faut également veiller à la réintégration effective des réfugiés et des déplacés, avec des garanties de sécurité, de restitution des biens et de respect de leur droit au retour.

Ainsi, faire la paix ne consiste pas simplement à faire taire les armes. Il s’agit de construire les conditions objectives d’une coexistence durable, fondée sur la justice, la mémoire et la reconstruction. Cette entreprise, longue, exigeante et fragile, ne peut se contenter d’une trêve conjoncturelle : elle doit incarner une véritable refondation du vivre-ensemble, portée par le courage politique, l’humilité historique et la quête sincère de la dignité partagée.

Si le Mouvement du 23 mars (M23) est né, c’est en réponse à une profonde frustration politique et humaine

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